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✖ LETTRE OUVERTE AU PRÉSIDENT ET MME MACRON • Invisibles, nous sommes les invisibles


Monsieur le Président de la République
Madame Macron


Maison d’Accueil Spécialisée - 1 rue Urbain Le Verrier - 44340 Bouguenais - g.launay@adapei44.asso.fr
Le 20/10/21

Invisibles, nous sommes les invisibles,
Nous travaillons depuis des années, des mois, auprès des plus vulnérables de notre société, de jour, de nuit, jours fériés et weekend compris
Le confinement ne nous a pas touchés, nous avons continué à travailler, la boule au ventre face à eux et pour leurs familles, et nous n’avons pas déserté
Il nous a fallu nous adapter, jour après jour, fermer les portes de l’institution, protéger, s’habiller, se déshabiller, se masquer, observer, écouter, attendre dans l’angoisse de potentielles contaminations
Nous avons tendu l’oreille lorsque vous avez parlé, quand les annonces du premier ministre sont tombées : invisible, nous sommes les invisibles
Les personnes polyhandicapées, le personnel éducatif et du soin, les institutions du monde associatif ne font-ils plus partie de vos préoccupations ?
Nous avons inventé de nouvelles façons de vivre ensemble cette situation de crise, nous nous sommes entraidés en portant haut les valeurs de la solidarité
Epuisés, malmenés, nous avons résisté pour maintenir une qualité de vie pour les personnes accompagnées, dans un contexte bousculé, déconstruit et insécurisant et nous avons tenu le cap
Invisibles, nous sommes les invisibles, lorsque les doses de vaccin ont été distribuées en EHPAD, pour protéger les plus âgés de notre société
Trois mois se sont alors écoulés dans l’attente de pouvoir vacciner et le Covid est entré, nous nous sommes de nouveau adaptés, dans la peur de voir les résidents décéder, d’être nous-mêmes contaminés, et nous l’avons été, de le transmettre à nos proches, mettant en place des stratégies en créant un sas de décontamination a notre domicile, faisant chambre à part et mettant de la distance dans nos relations avec nos enfants et proches et ce pendant des mois
Le vaccin n’est pas arrivé à temps, invisible nous sommes les invisibles
Epuisés, nous sommes épuisés d’avoir puisé dans nos ressources, d’avoir abandonné nos repos, nos vacances, nos familles pour continuer nos missions d’accompagnement
Aujourd’hui l’institution est désertée, la crise nous a laminé, révélatrice d’une situation à peine tenable depuis des années, sans reconnaissance ni visibilité, vos encouragements et applaudissements nous ont alors écœurés
Votre « Quoi qu’il en coûte » ne s’est jamais adressé aux invisibles, pourtant indispensables pour la vie des plus vulnérables
« Quoi qu’il en coûte » de notre énergie, de nos corps abîmés, meurtris, douloureux, de nos esprits encombrés, préoccupés, malmenés, de notre engagement déstabilisé, de nos projets envolés, de la qualité remisée
« Quoi qu’il en coûte » pour un bain déplacé, une sortie annulée, des collègues qui ont démissionné, épuisé, des salariés qui refusent de s’arrêter, pour un travail dévalorisé
« Quoi qu’il en coûte », face à un regard effrayé, attristé, une recrudescence de troubles à force de nous voir virevolter et tournoyer, affolés par tant d’insécurité
« Quoi qu’il en coûte » d’une maltraitance annoncée, d’un épuisement éprouvé
« Quoi qu’il en coûte » à rassurer, contenir, accompagner, animer, soigner, penser, éduquer, câliner, désirer pour ceux qui ne peuvent pas toujours s’exprimer
« Quoi qu’il en coûte », de jour comme de nuit, fériés et weekends compris, 365 jours par an, pour soutenir des vies dignes, au cœur de nos différents métiers
« Quoi qu’il en coûte » à 1700 euros en fin de carrière, sans être considérés dans le Ségur de la santé, ou clivés, entre ceux qui auront et ceux qui continueront d’espérer
« Quoi qu’il en coûte » mais pour qui, dans cette société qui se détourne des plus vulnérables et remet alors en question son humanité
Vos promesses électorales sur le handicap se sont bien vite envolées…
Nous vous invitons à venir rencontrer les personnes qui vivent depuis plus de 35 ans à la Maison d’accueil spécialisée de Bouguenais, à partager un moment, à observer leurs conditions de vie, notre présence à leurs côtés et les valeurs qui nous permettent, encore, de tenir ensemble.
Nous nous rendrons visibles le 17 novembre, devant la Préfecture de Nantes.

Une invisible parmi tant d’autres, Gwenaëlle Launay, psychologue.