• TERRAIN - Pandémie de Covid-19, confinement et enfants placés (2)
Les familles d’accueil sont trop souvent négligées, sinon méprisées un peu considérées comme les parents pauvres de la protection de l’enfance. L’occasion de leur donner la parole est suffisamment rare et précieux, pour que Lien Social ouvre son site à leur témoignage. Une version courte est à retrouver dans la rubrique « Echos du terrain » dans Lien Social n°1281 du 13 octobre 2020.
Enfants confiés et confinés, familles d’accueil sous pression (2) Comment les enfants placés ont vécu ce confinement ?
Par trois assistants familiaux (1) et Philippe Godard (2)
Avant le confinement, les enfants placés suivaient un emploi du temps ponctué de rendez-vous tout au long de la semaine avec tous les déplacements nécessaires à ces rendez-vous : école, visites avec les parents, psychologue, psychomoteur, orthophoniste, audiences… Ce sont autant d’activités au quotidien qui laissent peu de place aux loisirs et au divertissement. Cette succession de déplacements rythme leur vie et les épuise, notamment les tout-petits qui s’endorment régulièrement sur les trajets sans jamais pouvoir finir leur cycle de sommeil. Ces échanges successifs donnent lieu à des rencontres avec de nombreuses personnes venant de tous horizons. Certains de ces professionnels avec lesquels les enfants sont en contact obligatoire ont fait de la « distance professionnelle » qui leur a été enseignée dans les instituts de formation leur orthodoxie, et n’y dérogent pas (3) ; ce faisant, se rendent-ils compte de la détresse qu’ils provoquent souvent chez les enfants, qui se sentent incompris et considérés comme des « dossiers » à suivre, et non comme des êtres humains en cours d’évolution, à éduquer et aider ?
Puis est arrivé le confinement. Une forme d’anomie s’est subitement imposée aux enfants : annulation des visites, des rencontres, des appels, et plus généralement, plus aucun intérêt en dehors de la famille d’accueil. Cette situation a semblé plutôt convenir dans un premier temps en raison probablement de l’instauration d’une pause dans leur rythme effréné. Une fois que ce repos mérité eut permis aux enfants de reprendre un rythme plus conforme à leur âge, de l’anxiété apparut, accompagnée de troubles du sommeil et d’un état de nervosité tout au long de la journée. De l’irritabilité a petit à petit pris le pas sur la nervosité, et un besoin d’attirer l’attention sur soi pour combler le vide s’est installé. Jour après jour, l’enfant exprime alors une sorte de colère en transgressant les règles, en narguant puis en provoquant.
Avant le confinement, les périodes de scolarisation ou d’accueil en centre adapté permettaient à l’assistant familial de souffler, de réaliser des tâches nécessitant une totale disponibilité, de prendre soin de soi, de s’occuper de ses affaires personnelles. Avec le confinement, la tâche pour l’assistant familial est devenue de plus en plus difficile. Au-delà de l’intendance liée à la présence des enfants sept jours sur sept, il faut accompagner, surveiller, consoler, contraindre parfois les enfants du réveil jusqu’au coucher et quelquefois même pendant la nuit. Les journées commencent au réveil vers 7 heures, 7 heures 30, et se terminent à l’endormissement du plus récalcitrant, soit vers 22 heures bien souvent, voire 23 heures les jours de grande agitation.
Les jours se suivent et se ressemblent, sans pause, sans répit et sans respiration. Les plus petits demandent une attention de tous les moments pour ne pas dire de toutes les secondes. Le moindre écart de surveillance peut être l’occasion d’accomplir la bêtise tant interdite, même s’il faut se mettre en danger pour cela. La responsabilité de l’assistant familial est pleine et entière, et aucune circonstance atténuante ne nous sera accordée. Il faut donc en permanence veiller à protéger les enfants, principalement de leurs propres actes, nous protéger nous-mêmes, protéger les nôtres et enfin protéger nos biens. Dans de telles circonstances, nos affaires personnelles ne sont pas épargnées, en effet ; les actes de vandalisme sont réguliers, parfois volontaires dans les moments de grande provocation, parfois par inattention.
Pour nos proches qui sont eux aussi confinés, et plus particulièrement nos propres enfants, peu de moments privilégiés en famille, voire aucun ; l’agitation est devenue permanente, les repas très mouvementés et bruyants. Le seul moyen pour eux de survivre à ce tsunami permanent a été l’isolement, ce qui n’est pas une réponse satisfaisante sur le long terme. Ni pour eux, ni pour nous. En effet, les relations sociales sont déjà peu évidentes en temps normal (surtout lorsque nous nous retrouvons autour de la table à sept ou huit pour un repas par exemple) et il faut une bonne part d’empathie pour nos hôtes pour nous accepter avec toute notre « famille élargie » et tout ce que cela implique. En cette période de confinement, ces relations sont encore plus difficiles et nos proches sont donc souvent de précieux confidents. Ils font partie intégrante de la famille élargie, parfois contre leur gré.
À la fatigue physique consécutive à notre nécessaire implication dans les tâches du quotidien sans trêve ni repos, s’ajoute la fatigue psychologique liée à l’excès d’attention indispensable pour gérer les enfants, toujours sans trêve ni repos.
Bien que les enfants n’aient pas toujours un long vécu avec leurs parents en dehors des visites médiatisées ou encadrées, nous pouvons constater qu’après une longue période de confinement le lien d’attachement refait surface. Alors qu’en dehors de la période de confinement les enfants ne parlent que peu, voire pas, de leurs parents (à l’exception des moments de visite), après plus de six semaines sans contact autre que téléphonique, les enfants demandent à voir maman ou papa, ou les réclament en cas de tristesse importante ou de chagrin. Ce constat est vrai quelle que soit la nature de la relation antérieure de l’enfant avec ses parents. Il nous semble enfin que, lorsque les deux étaient présents avant la séparation, la maman est davantage sollicitée que le papa.
Le confinement ne s’est pas arrêté le 11 mai 2020. En effet, dans le cadre du déconfinement, les parents qui gardent l’autorité parentale ont été sollicités par les éducateurs référents pour savoir s’ils voulaient que leurs enfants réintègrent ou pas l’école. Dans leur grande majorité, les parents ont répondu négativement en précisant qu’ils ne voulaient pas les exposer aux dangers de la pandémie. Sans se soucier de l’état psychologique de leur enfant, sans avoir la moindre idée du besoin de socialisation de leurs petits, sans même connaître les conditions d’accueil prévues dans les écoles, leur réponse a été catégorique. Dans nos départements, les services ont peu ou pas négocié cette décision (15) et en tout cas ils n’ont pas pris en compte notre besoin de souffler dans l’équation qu’il leur était demandé de résoudre, sachant qu’en tout état de cause, il leur était difficile de prendre la responsabilité d’exposer les enfants à un risque de contamination. En revanche, les parents ne voyaient aucun risque à reprendre des visites avec leurs enfants, étant entendu qu’ils ne pouvaient pas, bien évidemment, les contaminer… Si cette position est certainement naturelle pour un parent vis-à-vis de son enfant, il n’en reste pas moins que le risque est le même, les mêmes causes produisant les mêmes effets. Dans cette lutte de pouvoir et d’autorité, la question de l’exposition au risque de la famille d’accueil n’est pas évoquée.
D’une manière plus générale, il nous semble que le confinement a mis en évidence la difficulté que rencontrent les jeunes, disons « non normés » ou « non ordinaires », à s’adapter à des conditions de vie qui, en réalité, ne conviennent qu’à une partie de la jeunesse. Nous n’avons pas ici l’intention de nous lancer dans une étude théorique sur la « normalisation » ou le « profilage » (16) de la jeunesse, mais soulignons que l’effet de « désocialisation » produit par le confinement se retrouve, par exemple, lorsque les enfants ou les jeunes sont déscolarisés ou en situation de décrochage scolaire. C’est pourquoi il nous semble important, avant d’en venir à nos propositions, de tracer un tableau des enfants qui nous sont confiés.
(1) Qui souhaitent rester anonymes par crainte de représailles et de perdre leur travail.
(2) Ancien formateur occasionnel dans un institut régional de travail social, auteur de livres documentaires pour la jeunesse, ainsi que de Graines de futur (Arbois, Cet Atelier, là, 2020), sur une maison d’enfants à caractère social, et de l’essai Pédagogie pour des temps difficiles. Cultiver des liens qui nous libèrent (Montréal, éditions Écosociété, à paraître en janvier 2021).
(3) Nous renvoyons ici, pour une critique plus précise de ce concept, à l’article de Ph. Godard publié dans <psychasoc.com/Textes/Distance-profe...>
(4) Nous ne voulons pas affirmer ici qu’il en a été de même partout, mais chez nous, c’est ainsi que les événements se sont déroulés.
(5) Pour reprendre le terme qu’emploient Armand Mattelart et André Vitalis, Le Profilage des populations, Paris, La Découverte, 2014.
Suite demain (3) « Qui sont les enfants que l’on nous confie ? »