• TERRAIN - Journal de bord - Quelques nouvelles du front…
Par Emmanuel OKOUNHOLLA, chef de service en MECS
« Oui, l’homme n’est pas fait pour vivre ni dans la pure ombre, ni dans la pure lumière. Oui, le clairobscur est le séjour le plus propre à l’homme » affirme Eric FIAT (Grandeurs et misères des hommes, in Petit Traité de dignité, mars 2010).
Abreuvé d’un flot de nouvelles plus catastrophiques les unes que les autres, via la télé tout au long du week-end, j’ai été saisi dimanche soir d’une peur panique que je ne n’avais jamais ressentie jusque-là… Une peur panique de choper le coronavirus et de le transmettre à ma chère épouse. Cette peur panique m’a habité tout au long de la nuit. J’étais terrorisé à l’idée de reprendre le boulot le lendemain matin. Au réveil, le lundi matin cette peur panique de la veille, mon passager noir, était toujours là.
Pour la première fois, depuis le début de cette pandémie, j’ai eu peur de me rendre au boulot… J’étais tétanisé à l’idée de me rendre au front… Je n’avais ni la force ni l’énergie… Mais, il fallait quand même y aller vaille que vaille ! Allez soldat, courage !!! Alors, c’est le cœur lourd et la boule au ventre que j’ai franchi les portes de la Maison d’enfants ce lundi matin. Je me suis très vite ouvert au directeur qui m’a écouté avec bienveillance et attention… J’ai lu la compréhension dans son regard…
Puis, comme chaque matin, je suis allé m’enquérir du moral des troupes. C’est avec un grand sourire que la maîtresse de maison des grands ados m’accueillit en me disant tout de go : « Bonjour Emmanuel, c’est reparti ! Il faut bien s’occuper de ses mômes ! Nous n’allons quand même pas les abandonner !!! » Ces paroles pleines d’enthousiasme m’ont réveillé de ma torpeur et ont eu le mérite de me revigorer.
Sur un autre groupe, une autre maîtresse de maison m’a confié combien ce week-end avait été long pour elle : « J’avais hâte d’être au boulot ! Normalement, je ne travaille pas le mercredi, mais j’ai demandé au directeur de pouvoir venir bosser… » Quel courage, comparé à ma trouille matinale…
Une éducatrice, très enthousiaste m’a dit : « Si vous avez besoin de moi pour faire des heures en plus, je suis partante ! »
J’avoue avoir été très touché par cette détermination du personnel à continuer à s’occuper des enfants et des jeunes confinés au sein de la MECS, malgré « l’ennemi invisible » (dixit M. MACRON) qui rôde. Si ça ce n’est pas de l’engagement, alors, il faudrait m’expliquer quel est le véritable sens de ce mot tant prisé dans notre secteur. Oui, ce matin-là et les jours précédents, j’ai vu l’engagement en acte ! Je ne parle pas de l’engagement dont certains « sachants » du secteur social et médico-social se gargarisent avec des paroles et des discours (suivez mon regard), mais celui qui se traduit au quotidien en actes et en vérité, notamment en ce temps de guerre et de pandémie !
Au sortir de cette crise sanitaire, il y a des notions comme solidarité, engagement, qu’il faudra redéfinir à l’aune de cette période si trouble et si angoissante…
Ce matin-là, les professionnels que j’ai croisés (cuisinières, homme d’entretien, éducateurs, éducatrices, maîtresses de maison, secrétaire, directeur…) ont, non seulement rallumé la flamme de l’engagement en moi et fait disparaître ma peur panique, mais ils ont, sans le savoir peut-être, fait de moi « un voleur de Beau ! »
Je tiens ici à leur dire merci.
Oui, merci à tous ces soldats de l’ombre qui, depuis le début de cette crise sanitaire, s’occupent avec une détermination admirable des enfants et des jeunes confinés en MECS.
Oui, merci à tous les professionnels de la protection de l’enfance qui, ne pouvant pas « télétravailler », sont obligés de se rendre chaque jour au front pour s’occuper de ces enfants de la République afin qu’ils ne soient ni des oubliés ni des sacrifiés… Nombre de professionnels de nos structures ont répondu présents, malgré le virus qui rôde ! Rien qu’à y penser, j’en ai les larmes aux yeux.
Il est des moments dans l’histoire d’une institution où l’abnégation et l’engagement des professionnels ont un goût d’éternité !!!
J’ai une pensée pour toutes les MECS bondées en cette période et qui ne disposent pas d’assez d’espace extérieur pour permettre aux jeunes de se défouler… Je n’ose imaginer les tensions au sein de ces structures en cette période de confinement…confinement qui risque de se prolonger…
L’histoire retiendra votre sens du devoir et du sacrifice !
Même si vous n’apparaissez pas dans le discours des politiques en ces temps si troubles, sachez que vous faites la fierté et l’honneur de ce beau et grand pays ! La France vous doit à vous aussi, soldats en seconde ligne, une reconnaissance éternelle !
Voilà pourquoi, tous les jours, en applaudissant à 20h pour remercier et encourager les soignants qui sont au premier plan de cette guerre sanitaire, j’ai toujours une pensée émue et teintée de gratitude pour les travailleurs sociaux de nos MECS qui prennent des risques inouïs pour s’occuper des enfants confinés… Merci à vous toutes et tous !!!
Puissiez-vous être associés à ces clappements vespéraux, car vous êtes des soldats de l’ombre, des sentinelles du quotidien !
Au nom de tous ces enfants accueillis et confinés en MECS en ce moment, je vous dis simplement MERCI, MERCI et Mille fois MERCI !!!
J’ose espérer qu’au sortir de cette crise, on vous donnera enfin toute la considération et la reconnaissance que vous méritez !!! Vous méritez tout notre respect !
Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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