• TERRAIN - Journal de bord - Procédures sanitaires, pratiques éducatives.

Par R.H., chef de service éducatif en protection de l’enfance.
Reçu le 3 avril, 9h27
Cela fait maintenant trois semaines que nous avons revu toute l’organisation de la structure pour l’adapter à l’état de crise sanitaire. L’équipe est réduite, trois éducateurs sur sept sont en confinement total en raison de problèmes de santé qui les placent d’office comme « sujets à risque ». Ils travaillent donc à domicile, assurant une liaison permanente avec les collègues et les jeunes. Les quatre autres tournent pour travailler deux jours par semaine sur le site, et le reste du temps de chez eux. Nous avons embauché un éducateur à mi-temps et reçu le renfort d’un collègue d’un autre service de notre association.
C’est donc une drôle d’ambiance qui règne dans nos locaux. Plus silencieuse, sans être plus calme pour autant. Le bruit qu’on n’entend pas, c’est le stress, l’incertitude, l’anxiété. Le stress lié à la refonte quasi-totale de nos modalités de prise en charge – accompagner autant de jeunes avec trois fois moins de professionnels présents physiquement ; l’incertitude quant à la durée de cette crise et à ses implications ; l’anxiété, enfin, à l’idée de voir les jeunes contaminés, ou de l’être soi-même.
Je ne me fais aucune illusion. Il serait très étonnant que nous traversions cette crise sans que l’un de nous, ou l’un des adolescents ou jeunes adultes que nous accompagnons, ne soit infecté par le covid-19. Je ne fais pas d’ailleurs pas mystère de mon opinion auprès de mon équipe. Tout l’enjeu est de limiter ce risque, et de savoir comment nous réagirons lorsque nous aurons des malades. De ma place de chef de service, le maître mot est donc procédure. Etant éducateur spécialisé de formation, ce n’est pas précisément ma compétence première. Des procédures pour aller voir les jeunes en se protégeant et en les protégeant ; une autre si l’un d’eux présente des symptômes ; une procédure, enfin, si nous avons un cas avéré dans l’équipe où chez nos adolescents.
Bien sûr les procédures s’imposent mais ne suffisent pas. Même en état de crise sanitaire, le travail éducatif se fait en partie à l’intuition, ou plutôt à l’expérience. Il faut rassurer, soutenir, étayer ces jeunes qui, en temps ordinaire, ont souvent du mal à supporter la solitude. Il faut aussi recadrer ceux qui ne prennent pas la mesure de la situation, et pour qui le confinement n’est finalement qu’une autre règle à transgresser. C’est souvent mon travail et, je l’avoue, il m’arrive de perdre patience. Je leur dis que nous nous échinons à protéger chacun le mieux possible, et que leurs sorties intempestives mettent tout le monde en danger. J’y mets moins les formes qu’à l’accoutumée.
Et puis, il y a les mails que nous échangeons, en équipe, ou avec les collègues des services administratifs. Plus nombreux, forcément, puisqu’une partie des personnels est en télétravail. Mais surtout, on y trouve souvent ces formules, presque incongrues en temps normal : « j’espère que tout va bien pour toi » ; « prenez soin de vous et de vos familles » ; « fais attention à toi  ». Les mots sont suivis par des actes, cette collègue va se proposer de différer ses congés, celui-ci va continuer à contacter les jeunes pendant le week-end … la crise sanitaire ne suscite pas, comme par magie, des comportements altruistes et bienveillants. Mais elle les rend d’autant plus appréciables.

Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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