• TERRAIN - Journal de bord - Lettre d’une oubliée
Par Elodie, éducatrice spécialisée
Reçu le samedi 4 avril, 10h26
Je suis éducatrice spécialisée. Ce métier ne vous dit sûrement pas grand-chose car peu de personnes y sont confrontés. Si vous n’êtes pas un enfant placé, une personne handicapée, une femme violentée ou un SDF affamé, peu de chance de nous croiser...
A l’heure où la France s’est arrêtée, une minorité de gens continuent à travailler, le personnel soignant bien sûr mais aussi... des éducateurs spécialisés. La détresse sociale ne se met pas en pause durant l’épidémie, le confinement aggrave bien au contraire des situations déjà bien affaiblies.
Je vais vous partager un bout d’mon quotidien en toute sincérité et ainsi espérer sortir de la case des oubliés...
J’accompagne des enfants abandonnés, délaissés, maltraités, cabossés par une vie qu’ils n’ont pas choisie. A l’heure où on nous impose cette fameuse « distance sociale », vous allez voir que pour nous c’est juste une terrible injonction paradoxale...
Je suis...
A côté de toi, pour t’aider à franchir la porte de la classe,
Derrière toi, dans les gradins, pour t’aider à réussir cette dernière passe,
Devant toi, pour te protéger et attendre que l’orage passe,
Tout près de toi, pour t’aider à enlever cette carapace,
Loin de toi, pour admirer ton envolée, la grande classe !
Je suis...
Cette brise qui t’aide à souffler ta douzième bougie,
Ce vent qui te pousse à exprimer au juge ce que tu vis,
Cette tornade qui te fait sortir de ton lit,
Tantôt le méchant, tantôt le gentil...
Je te prête mes mots, quand je te sens bégayer,
Je te laisse mon épaule pour que tu puisses pleurer,
Je te tends la main pour t’éviter de glisser,
Je te prends dans mes bras quand tu es prêt à exploser...
Mon corps est mon seul outil de travail, mais il est en permanence attaqué. Malgré toi, tu essaies parfois de l’abimer, avec des griffures, des morsures, des coups de poings ou des coups de pieds...
Je n’ai pas d’arme pour me défendre quand je me sens attaquée, juste des mots et mes convictions pour t’aider à avancer... le métier d’éducateur est difficile à évaluer, tous ces actes ne rentrent pas dans des cases ni dans aucun rapport d’activité.
Mais moi ce qui me fais vibrer, c’est toute cette partie immergée, c’est tous ces moments impalpables qui ne sont pas comptabilisés, des fous rire en pagaille et des moments à jamais gravés... des émotions qui s’entrechoquent, on passe du rire aux larmes, l’adrénaline comme moteur et ma détermination comme seule arme.
Des liens tissés au fil de mois sont solidement ancrés. On s’est attaché, tu as tiré sur la corde mais on n’a pas lâché, on a résisté contre vents et marées. Tu nous as détestés, tu nous as insultés, tu as déversé toute la haine que tu as contre la société, mais on est resté là, on n’a pas bougé. Ça y est, le lien de confiance est créé, maintenant y’a plus qu’à dérouler...
L’arrivée au foyer t’a souvent fait pleurer, et au moment où tu commençais à te poser viens souvent l’heure de se séparer... J’ai l’espoir que les graines semées puissent prendre sens pour toi dans quelques années...
Partagez, faites tourner, et peut être que ce soir à 20 heures quand vous applaudirez, vous aurez une petite pensée pour nous, les oubliés...
Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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