• TERRAIN - Journal de bord - Les sans domicile fixe face au confinement. 1 - Etat des lieux

Par Kathleen BUJEDO, étudiante éducatrice spécialisée.

Actuellement en deuxième année de formation d’éducatrice spécialisée, la crise sanitaire que nous traversons actuellement a imposé, comme pour beaucoup de Français, mon confinement à domicile. Cette situation a cependant éveillé mon attention sur la fragilité des personnes sans domicile en France. Est-il envisageable que la crise du nouveau coronavirus illustre et aggrave la fragilité des personnes sans domicile ? Je tenterai ici modestement de réfléchir à cette question.

Qui sont ces personnes ?
L’INSEE propose une définition de la notion de personne sans domicile : « Dans le cadre de l’enquête auprès des personnes fréquentant les lieux d’hébergement ou de restauration gratuite, une personne est qualifiée de « sans-domicile » un jour donné si la nuit précédente elle a eu recours à un service d’hébergement ou si elle a dormi dans un lieu non prévu pour l’habitation (rue, abri de fortune) » (1)
Avec cette définition, nous pouvons imaginer que les besoins liés à cette situation sont importants : accès au logement, à l’hygiène, à la santé, aux ressources financières, aux droits d’asile, aux loisirs, à l’emploi, à la socialisation…
Cette situation de précarité et ces besoins non satisfaits sont à risque pour ces personnes, puisqu’elle peut les mener à l’exclusion sociale. Isabelle Vandescasteele et Alex Lefebvre (2) proposent cette définition de l’exclusion sociale : « L’exclusion sociale se définit aujourd’hui comme un processus multidimensionnel de ruptures progressives, se déclinant à la fois dans le domaine professionnel et relationnel. Ces ruptures peuvent également toucher d’autres domaines ou objets sociaux que l’emploi comme le logement ou l’accès aux soins par exemple. »

Un Etat qui ne parvient pas répondre à ces besoins
« Je ne veux plus (...) avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois ou perdus  » clamait Emmanuel Macron en juillet 2017. Il a appuyé cet objectif par la mise en place du dispositif Logement D’abord. Sur le site du gouvernement, nous trouvons la présentation suivante concernant ce plan : « le plan quinquennal pour le Logement d’abord et la lutte contre le sans-abrisme (2018-2022) propose une réforme structurelle de l’accès au logement pour les personnes sans-domicile. Il répond aux constats d’un sans-abrisme persistant en France et d’une saturation toujours croissante des dispositifs d’hébergement d’urgence dans les territoires. Cette nouvelle stratégie a pour ambition de diminuer de manière significative le nombre de personnes sans domicile d’ici 2022. Il s’agit de passer d’une réponse construite dans l’urgence s’appuyant majoritairement sur des places d’hébergement avec des parcours souvent longs et coûteux, à un accès direct au logement avec un accompagnement social adapté aux besoins des personnes. » (3)
Cependant, la mise en place de ce dispositif n’a, en 2020, pas assez évolué pour permettre le logement de toutes les personnes sans domicile. J’ai pu évaluer cet enjeu en assistant à des commissions insertion au SIAO (4) sur le territoire Amiénois (5). Les listes d’attente sont très longues pour accéder au logement d’abord. Une autre problématique a aussi été régulièrement soulevée : des personnes qui accèdent au Logement d’Abord sont parfois marginalisées et nécessitent un accompagnement social conséquent. Le logement d’abord ne propose pas à ce jour un accompagnement suffisant pour ces profils individuels. Ainsi, il arrive que ces personnes se trouvent en difficulté lorsqu’elles intègrent un logement car elles ne disposent pas d’un accompagnement suffisant pour répondre à leurs besoins administratifs, leurs besoins en matière de santé ou encore leurs besoins d’aide à la gestion de ce logement. Elles vivent donc un échec, puisqu’elles quittent ou perdent le logement pour retourner à la rue ou dans des hébergements non pérennes.

L’État propose donc aussi d’autres possibilités comme les Hébergements d’Urgence, les Hébergements de Stabilisation, les Hébergements d’insertion. Tous ces dispositifs peuvent prétendre à fournir une allocation de subsistance aux personnes hébergées si elles n’ont pas de ressources. Cependant, là aussi, les listes d’attente pour accéder à ces dispositifs peuvent être longues. De plus, les orientations se font en fonction des missions et des financements des lieux d’hébergement. Un Centre d’Hébergement et de Réinsertion Sociale peut, par exemple, accueillir des personnes sous certain critères : sexe, âge, situation administrative, hygiène de vie (non consommateur de drogues ou d’alcool par exemple). Ces critères d’orientation peuvent ne pas correspondre à la situation individuelle des personnes demandeuses. De même, l’organisation de ces structures peut les contraindre à interrompre leur prise en charge ou contraindre l’établissement à y mettre fin. Il est en effet possible que les personnes ne supportent pas la vie en collectivité ou au contraire la solitude, ou qu’elles ne respectent pas le règlement pour des raisons personnelles. La barrière de la langue et la différence de culture peut aussi rendre très difficile l’hébergement et l’intégration des personnes d’origine étrangère. Ainsi, elles peuvent se retrouver au point de départ : faire appel au 115 et/ou au SIAO. Les situations individuelles et singulières peuvent freiner l’accès à l’hébergement.

Il existe aussi les accueils de jours, dans lesquels les personnes sans domicile peuvent se laver, se reposer, bénéficier de l’électricité, manger. Ces services sont soumis à une présence journalière : les personnes qui en bénéficient doivent retourner à la rue ou en hébergement de nuit, à la fin de la journée. Une partie de ces services sont de plus fermés le week-end.

Une problématique visible de cet ensemble de structures, c’est le financement des places. Il n’y en a pas assez de disponibles pour répondre à toutes les demandes. Ainsi, les personnes qui sollicitent un hébergement ne parviennent pas toutes à en obtenir un. De nombreux établissements dénoncent des coupes budgétaires qui ne permettent plus d’accompagner dignement les personnes accueillies.
Une autre problématique existe : ces structures sont rares en milieu rural, contraignant . à se rapprocher des villes pour parvenir à y accéder.

(1) https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1256
(2)De la fragilisation à la rupture du lien social : approche clinique des impacts psychiques de la précarité et du processus d’exclusion sociale, Isabelle Vandecasteele et Alex Lefebvre, Cahiers de psychologie clinique 2006/1 (n° 26)
(3) https://www.gouvernement.fr/logement-d-abord
(4) Service Intégré d’Accueil et d’Orientation
(5) Ces commissions ont lieu à l’Union Départementale D’Accueil et d’Urgence Sociale (USAUD). Elles réunissent des professionnels du 115, de la Direction Départementale de la Cohésion Sociale et de structures d’hébergement. L’objectif de ces commissions est d’orienter les personnes grâce aux informations qu’elles ont communiqué lors de leur rendez-vous de demande en matière d’hébergement sur le service SIAO.

(à suivre : « 2- Des représentations qui ont la peau dure »)

— -
Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

si vous aussi, vous souhaitez nous faire part de votre témoignage, écrivez-nous à red@lien-social.com. (Plus de précisions)


------- ------- ------
LIEN SOCIAL : numéros 1272 - 1271 - 1270 en accès libre