• TERRAIN - Journal de bord - Journal de confinement du 14 au 24 mars 2020 (1/2)

Par Etienne RDLR, éducateur spécialisé.

Jeunes présents : Abdoul et Françoise jusqu’au 16/03/2020 et Halid, Fauzi, Jian, Jade (fugue le 24/03).

Il était une fois, dans une rue déserte, un sous-sol dans le noir. Là-bas, des bruits de voix, des cris d’enfants attirent la curiosité de l’initié. Tu descends et y’a un type qui t’accueille et qui te raconte que : Hier soir, la collègue qui devait être présente le matin, n’a pas pu venir. Une intérimaire, Anne, est arrivée à la rescousse. En soirée, c’est Frédéric, un remplaçant qui est venu. Il fait la nuit, je me couche. Frédéric s’en va à 8h30 et j’attends Constantin, un autre intérimaire, qui ne viendra jamais. Donc je suis seul depuis 9h30. Deuxième abandon d’un collègue, comment imaginer une suite sereine ? Je décide de partager mes sentiments (mail réflexion confinement) auprès de la Direction : me confiner, sans avoir recours aux relais de mes collègues, pour éviter le risque d’une contamination. Le Chef de service me dit qu’il va porter mon idée, qu’il est convaincu, lui aussi de sa pertinence.
19 mars 2020. En résumé, on est un peu sur une autre planète, compliqué de rendre compte de tout ce que l’on fait du matin au soir dans cet immense loft, avec les jeunes, pour eux et pour nous. Beaucoup de ménage, nettoyage, désinfections...x100... et repérage des lieux. Franchement, les lieux sont crados, ils ne semblent pas tenus ni animés par des adultes et le ménage n’est pas fait. Ni dans les coins, recoins, ni même sur les vitres, les portes des WC salles d’eau. En gros, y’aurait que le sol ? Et encore, c’est pas fait sous les meubles, derrière les armoires, derrière les portes…
Ça s’organise. Préparations des repas par les jeunes car on est tous dans la même galère, en mode SURVIE. Fauzi, Halid, Jade participent de plus en plus. Ils ont bien capté que j’étais là pour eux et que je ne pourrai pas tout faire… Direct, faut qu’ils prennent leur destin en main d’autant plus qu’ils réclament à manger, alors ils se mettent à faire l’inventaire des ingrédients et réfléchissent à ce qu’ils aimeraient partager ensemble, sans oublier Jian qui est dans sa chambre. Ils sont loin d’être autonomes mais ils font les choses avec cœur, ils essaient, et même si c’est « raté », on dégustera avec plaisir. Et comme on n’est pas loin, on fait avec, ils ne ratent pas et on se régale.

Je reprends mon clavier… Déjà le 24 mars, on a enchaîné les journées à un rythme décalé, 11h du matin jusqu’à minuit et nous on explose le quota d’heures, d’ailleurs on ne les a jamais comptés, on vit, on veille, on vrille (non pas encore). Souvent on est actif encore à 3h du matin, parfois 4h,5h,6h : rangement, ménage, désinfection, bureau, gestion de la paperasse, quelques appels… On a récupéré plein de matos à l’accueil de jour pour améliorer notre quotidien (feuilles dessins, bombes de peinture, djembé, jeux de société, bouquins scolaires, matos de ménage, caisse à outils (bienvenue, trop précieuse), ballon de foot, raquette/ filet/balles de tennis de table, plateau repas, plaquettes partenaires, annuaires…)
Deux nuits Halid et Fauzi ont eu un petit creux. Ils ne s’y attendaient pas, on a sorti le grand jeu, thé gingembre-citron-miel, biscuits nature, fourrés chocolat ou fraise. On a tellement de choix que l’on ne fait pas les goinfres, au contraire, on apprend à partager, déguster, répartir nos ressources dans la durée, être reconnaissant face à cette abondance.
On mange deux fois par jour, le premier repas, entre 14h et 16h, Le deuxième, c’est le diner, entre 20h et 22h, copieux et équilibré, salade, légumes avec viande ou poisson, une sauce et un dessert. Le soir, rebelote, mais sans l’entrée. On mange tellement bien que l’on est rassasié et il n’y a ni grignotage, ni de : « je me sers sans demander », ni « vol » de nourriture dans le frigo… D’ailleurs, ce n’est pas du vol que de se servir dans un frigo, c’est une mauvaise gestion de sa consommation de protéines, sucres et liquides. On jette rien, les restes sont améliorés et servis le lendemain. Pas d’abus, pas de gâchis, juste ce qu’il faut.

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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