• TERRAIN - Journal de bord - Écriture personnelle durant le confinement (2)

Par Cathy Pons, Responsable Pédagogique à l’ESEIS de Schiltigheim.

Malgré tout, il faut poursuivre l’activité pour réaliser les gestes d’aide indispensables pour permettre à la personne de vivre …assurer ces besoins vitaux dont parle A. Maslow dans les premiers échelons de sa Pyramide : les besoins physiologiques (se nourrir, se laver, boire…), se sentir en sécurité. Ces gestes que ne peuvent plus réaliser seules ces personnes pour les raisons évoquées plus haut et qui doivent être relayés par la famille ou un professionnel quand cette dernière est inexistante ou éloignée au risque de ne plus pouvoir « vivre » à domicile pour la personne aidée.

Après un temps d’adaptation nécessaire, l’obtention du matériel indispensable aux « gestes barrières » ou la débrouillardise comme le souligne Myriam citée ci-dessus, Martine souligne que : « la peur a cédé la place à un autre sentiment… la joie ! Oui, il peut être joyeux d’aller chez des personnes seules, isolées de leur famille, car le « Rester chez vous  » éloigne, écarte, sépare pour un temps. Mais que ce temps paraît long à ceux qui attendent et qui ne peuvent plus faire seuls. La joie d’aider une personne âgée à se lever le matin, à faire sa toilette, à choisir ses vêtements, à préparer son petit déjeuner… le Covid 19 ne me prendra pas cette joie, certainement pas, car je protège et me protège derrière un masque, des lunettes de protection et des gants. Ne dit-on pas que les vrais sourires se lisent dans les yeux or mon masque s’arrête juste en-dessous… Mon planning est fortement allégé car ne sont préservées que les missions d’aide à la personne. Les interventions concernant l’entretien du logement sont supprimées pour respecter les consignes du gouvernement. Soit, je comprends…. Mais pas tout à fait ! Car ces missions de ménage ne se concentrent pas uniquement sur la dextérité à manier un balai ou sur l’efficacité à brancher un aspirateur sans se prendre les pieds dans le fil ! Ce sont avant tout des missions de rencontres, de regards échangés, de paroles prononcées et données. Il s’agit de ruptures de l’isolement pour certains, de connexion vers l’extérieur pour d’autres. Ce sont ces petits riens qui donnent sens au métier d’aide à domicile. Et en ce sens, je trouve réducteur de considérer ces missions à de simples actes non prioritaires. Il faudrait faire un grand ménage dans la manière de voir et de considérer notre métier ! » A. Maslow ne parle-t-il pas d’un besoin social, d’appartenance ? Alors qu’en fait-on ? Martine, dans ses propos évoque l’activité ménagère telle qu’elle est réellement, un moyen de conserver le lien social qui aura fait défaillance durant ce confinement pour certains, certaines personnes dépendantes et seules à leur domicile. Alors que le métier d’aide à domicile est souvent défini par sa tâche (l’activité ménagère) et non par le lien social qu’il apporte comme le souligne B. Ennuyer sociologue dans « Les aides à domicile : une profession qui bouge, un rôle clé mais toujours un manque de reconnaissance sociale » Gérontologie et société n°104.
Et voilà que maintenant le gouvernement parle d’une reconnaissance financière pour les soignants au vu de leur investissement durant cette période inédite. Il aura fallu cette « catastrophe » humaine, économique pour se rendre compte de leur présence indispensable au quotidien pour prendre soin de nous tous. Mais, qu’en est-il des professionnels exerçant le métier d’aide à la personne à domicile ?
A nouveau, ces professionnels, qui travaillent souvent avec un temps partiel subit, avec un salaire inférieur au Smic, qui ont montré leur professionnalisme durant ce confinement, sont les « oubliés » des futures décisions gouvernementales, les invisibles de notre système d’aide à la personne. Alors même que nous avons et aurons besoin de ces professionnels, puisque l’évolution de la pyramide des âges et la courbe démographique affirment une évolution du nombre de personnes de 65 ans et plus qui représenteront 28,5 % de la population de l’Union Européenne en 2080 contre 18,9 % en 2015 (site de Eurostat Statistics Explained).
Ne voulons-nous pas tous que nos proches aînés vivent au mieux ? Dans un souci d’éthique et de dignité, pourquoi ne valorisons-nous pas ce métier qu’exercent, dans l’ombre, un nombre important d’hommes et majoritairement de femmes, ayant une faible qualification ? Ces professionnels exercent un métier complexe, nécessitant des prises d’initiatives, d’être compétent, en conformité avec les missions confiées mais également être « en situation » et s’adapter face à la réalité des diverses situations d’accompagnement.
Nous avons tous besoins d’eux, qui agissent avec bienveillance auprès de nos aînés, des personnes plus vulnérables, ils permettent le maintien de ce lien social, entre « l’extérieur » et leur domicile, d’éviter l’exclusion en respectant leurs dernières volontés, parfois en les soutenant vers l’ultime voyage, la fin de vie.
Et pourtant, il n’est pas valorisé et manque aujourd’hui crûment de reconnaissance sociale et financière, même durant cette situation sanitaire que nous vivons, ces professionnels n’ont pas été reconnus à leur juste valeur. Il semblerait en cette période de confinement, que, seules les hôpitaux publics ou privés dans lesquelles exercent des professionnels soignants, visibles par tous, bénéficient de cette reconnaissance chaque soir depuis le début du confinement. Même les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) ont attendus un moment avant d’être prises en considération depuis le début de cette pandémie. Nous avons besoin de tous ces professionnels, soignants, travailleurs sociaux qui vouent leur investissement professionnel aux plus fragiles d’entre nous.
A moins qu’il ne s’agisse d’un manque de considération de la place de nos aînés dans une société où l’orientation de la politique sociale n’a pas pour principale préoccupation celle de la place de la personne âgée ?
Une prise de conscience sociétale de l’existence des aides à domicile, du bien-être qu’ils apportent à nos aînés, aux personnes dépendantes en répondant à leurs besoins, leurs désirs dont le principal est souvent de continuer à vivre à leur domicile, ne permettrait-il pas, enfin, de reconnaître à leur juste valeur ces professionnels ?
Par cet écrit, je voulais rendre hommage, à ma manière, à celles et ceux que je côtoie depuis de nombreuses années, actifs dans l’ombre des domiciles des personnes dépendantes, et qui permettent de maintenir le lien social dont toute personne a besoin pour « exister », pour ne pas « renoncer » ou « sombrer », surtout en période de confinement, pour regarder vers l’avenir, même quand celui-ci est assombri par l’âge ou la maladie.
Merci à vous, professionnels de l’aide à domicile, d’avoir pris soin de nos grands-parents, de nos parents, de nos familles alors que nous étions confinés et dans l’incapacité de prendre nous-même soin de ceux que l’on aime.

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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