• TERRAIN - Journal de bord - Dans l’urgence et sans régulation
Par Lise D., éducatrice spécialisée dans une Maison d’enfants à caractère social des Yvelines
Reçu le mercredi 18 mars 2020, 22h40
Je travaille dans un foyer de la protection de l’enfance qui accueille 37 enfants de 3 à 21 ans.
Nous sommes début mars, des collègues alertent en réunion afin d’avoir un protocole clair sur le foyer, des masques, du gel hydroalcoolique et des gants afin de faire face à une éventuelle épidémie. Nous n’avons pas été entendus.
Mardi 10 mars, en réunion institutionnelle, notre directrice répond à nos inquiétudes (faute de protocole) que nous devons nous méfier des Fake news et que le département et la direction de l’association prendront les mesures adéquates mais que pour le moment, nous ne devions pas avoir d’« angoisse ».
Jeudi 12 mars, Emmanuel Macron fait l’annonce de la fermeture des écoles. L’organisation se focalise uniquement sur la prise en charge des enfants, pas sur leur santé ni sur la nôtre.
Samedi 14 mars, le passage au stade 3 chamboule l’organisation une nouvelle fois. Toute l’équipe se retrouve à modifier ses emplois du temps, mais il n’y a toujours pas de protocole interne au foyer. Des enfants sortent en famille puis reviennent au foyer le dimanche soir.
Lundi 16 mars, il n’y a toujours aucune communication générale afin de faire face à cette crise. Deux cas de covid-19, sont connus dans l’institution, mais de manière informelle et non institutionnelle. La seule préoccupation est la prise en charge de vecteurs sains du Virus mais dans quelles conditions ? Aucune réunion de régulation n’est organisée. Tout est dans l’urgence. Alors, par conviction et envie, on continue de bosser pour la plupart sans avis médical. Nous n’avons toujours aucune information et seulement un tube de gel hydroalcoolique. Le lave-vaisselle pour un groupe de 10 enfants est en panne et nous permet de bien les éduquer sur l’importance du lavage des mains mais toujours : « aucune protection ». Les mesures de confinement renforcés sont compliquées à gérer pour les 37 enfants : plus de sorties famille, de visites médiatisées, sorties sur l’extérieur du Foyer (pour les ados) ... La violence est de plus en plus présente et nous sommes seuls désormais pour un groupe de 9 enfants qui ont du mal à garder la distance tant entre eux qu’envers les professionnels. Ils jouent, ils mangent ensemble, ils utilisent les mêmes salles de bains et les mêmes toilettes... Combien de temps tiendrons nous ?
Nous, travailleurs sociaux, sommes toujours motivés pour travailler auprès des enfants et des personnes fragiles. Mais, sans rien pour nous protéger, à devoir gérer nos inquiétudes et celles des publics accueillis, cela devient impossible. Il est vrai que personne n’est indispensable ! Mais à quel prix ?
Adrien Taquet a prévu une réunion mardi 18 mars, afin de répondre à toutes nos questions et nos craintes. Résultat ? Aucune réponse ! Une autre réunion est prévue pour le jeudi 19 mars. En attendant, c’est la démerde.
Une nouvelle fois, les travailleurs sociaux passent à l’as et ne peuvent compter que sur eux. Nous mettons nos familles en danger et personne ne se mobilise. Les conditions de nos institutions dans les médias sont inexistantes, invisibles. Même si la réalité dans le monde hospitalier reste une priorité absolue. Une « Tirailleuse Sociale » en Guerre.
Retrouvez tous les jours les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.
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