• TERRAIN - Journal de bord - Covid de sens ? Le syndrome du repenti.

Par Vince, Educateur spécialisé.

Le confinement a au moins une conséquence vertueuse. Il permet une forme d’introspection existentielle, une occasion de se pencher sur ses habitus, ses valeurs, ses modes de consommation… Ainsi replié dans sa bulle qu’il croit hermétique, le confiné se retrouve dans une posture quasi mystique où il va chercher à donner un peu plus de sens à son existence, à interroger ce qu’il a été jusqu’à lors.
Le plus gros problème dans cette quête d’identité, c’est que le confiné n’est justement pas dans une bulle si hermétique que cela. Son cocon est infiltré de rayons médiatiques surpuissants. Les ondes, mêmes les mauvaises, savent traverser les murs. Les chaînes d’infos, la radio, tout le rappelle à sa condition presque inéluctable de reclus. Pire encore, internet régit sa vie sociale. Il se croit protégé chez lui alors qu’il est exposé quotidiennement aux plus grands risques de manipulation qui soient.
Chacun est susceptible d’être atteint du syndrome du repenti, avec cette volonté farouche de remettre en question tous ses principes, rechercher un nouveau paradigme. Curieux ce sentiment de liberté alors que nous sommes enfermés, n’est-ce pas ? Illusion dites-vous ?
Tout est une histoire de fenêtres. Celles que nous ouvrons à 20h00 pour applaudir et avoir le sentiment d’exister aux yeux des autres. Et celles que nous ouvrons frénétiquement sur nos navigateurs pour nous relier à la communauté virtuelle.
Nos errances domestiques ne sont finalement qu’un reflet d’Éros et Thanatos. Seuls face nos pulsions de vie ou de mort, nous réagissons à des signaux reçus de toutes parts : communiqués, flashs infos, chroniques, réseaux sociaux, messages… Selon la pulsion qui nous anime prioritairement, nous devenons nous-mêmes des transmetteurs et des signifiants, plus ou moins fiables, plus ou moins objectifs. Nous transmettons tantôt des peurs, tantôt de l’espoir. Nous oscillons entre colère et résignation, entre pessimisme et foi, entre doute et certitude.
Comment transformer le penser en agir ?
Des projections conditionnelles.
Nos portes sont closes, devenues étrangement hostiles aux étrangers. Des sursauts d’humanisme nous poussent à éprouver le lien malgré tout. De réunions Zoom en apéros WhatsApp, nos tentatives de relation prennent parfois des airs désespérés. Etrange coïncidence tout de même que cette homonymie entre la communauté et le serveur : le fameux réseau.
Bref, toujours est-il que nous ne savons pas comment nous allons sortir de toute cette histoire, dans quel état, avec quelles ressources, quelles angoisses.
Nous identifions à peine comment nous traversons nous-mêmes ce trou noir. Alors comment est-il possible de l’envisager pour autrui ?
Certains n’auront malheureusement pas pu bénéficier de conditions favorables à la phase d’introspection. Le repentir ne serait-il pas un luxe de nanti ? Avec une surface habitable suffisante et beaucoup de bienveillance ce n’est déjà pas facile. Alors, sans trop préjuger de quoi que ce soit, on peut aisément considérer que la vie de famille dans un 40 mètres carrés du 12ème étage d’une tour de cité n’offre pas les mêmes chances de prise de recul et d’analyse.
Il est quand même plus confortable de réfléchir à la condition humaine seul et bien installé dans un transat du jardin plutôt que dans un salon encombré de monde sous tension. Pas besoin de grandes compétences empathiques pour mesurer cela. La sortie de confinement tant attendue ne sera sans doute pas l’occasion de partager des vécus identiques, ni même d’exprimer des émotions communes. Nous nous sommes confinés en quittant une société inégalitaire, nous la retrouverons ; c’est bien là une triste évidence. Peut-être même cette crise aura renforcé les inégalités.
L’effet catharsis de cette période de vie ne sera sans doute possible que chez ceux qui auront eu les moyens de mettre en abyme dramatique leurs vécus de confinés. La capacité à l’abstraction peut être salutaire, à condition d’avoir eu les moyens de penser.
Comment allons-nous aider les plus fragiles à vivre le vertige du déconfinement ?
Des enjeux sociétaux incertains.
Aurons-nous eu suffisamment de temps pour capitaliser nos réflexions ? Aurons-nous pu transformer un acte autocentré (le confinement, en tant qu’outil de protection personnelle) en acte altruiste (le confinement, en tant qu’acte de bienveillance communautaire) ?
Rien n’est moins sûr. L’expérience des grands drames de l’humanité nous a montré que la mémoire collective est loin d’être infaillible. Certains réflexes grégaires sont assez décourageants, il faut bien l’admettre.
Et pourtant, il va nous falloir nous pencher sur la question sociale, pour de vrai, celle-là même que les pouvoirs publics ont tant délaissée depuis des années au profit de l’économie et du capital. Humainement nous demeurons bien imparfaits, nous le savons. Il semblerait que cette caractéristique soit inscrite dans notre patrimoine génétique. Quand bien même nos efforts cognitifs et intellectuels nous encouragent à dépasser nos limites, force est de constater que nous avons besoin d’une autre force pour régir le vivre ensemble.
Cette force là c’est la politique. C’est notre capacité à organiser la vie sociale qui va déterminer notre pouvoir de réaction.
Aider les plus fragiles ? Oui, belle et noble idée. Développée depuis des lustres mais abandonnée à la seule bonne volonté de la charité publique. Désormais, investir dans l’humain, tel serait le challenge. Donner aux institutions les moyens d’œuvrer avec responsabilité dans le bon sens commun. On a pu mesurer dans l’urgence ce que pouvait donner l’abandon par les pouvoirs publics de notre système de santé. Tâchons de ne pas reproduire ces erreurs sur le système social. Ne serait-il pas judicieux de donner aux travailleurs sociaux non plus des obligations de résultats mais des obligations de moyens ? On ne pourra pas toujours compter uniquement sur les facultés de résilience soutenues par de simples bonnes volontés. Tant que notre société considérera l’humain comme une variable d’ajustement économique, nous serons condamnés à être les pantins d’un capitalisme décomplexé et arrogant.
Avec un certain cynisme répondant en écho au mépris de l’État, je dirais que cette crise sanitaire n’aura sans doute pas permis d’exterminer tous les pauvres. Loin s’en faut. Va-t-on seulement pouvoir s’occuper dignement de ceux qui restent ou faut-il compter sur d’autres opportunités de pandémies ?

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Retrouvez les témoignages de travailleurs sociaux en pleine crise sanitaire sous la thématique "Terrain, journal de bord" de notre rubrique Actualité.

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