• TERRAIN - Erasmus, l’enfant qui exaspère son entourage - Épisode 5 : Quand un enfant perdu symbolise l’échec de la société
On se pose souvent la question du travail réalisé auprès des enfants qui sont confiés à la Protection de l’enfance. Éric Jacquot, responsable d’un lieu de vie et d’accueil (LVA) nous propose un long récit de la prise en charge d’Erasmus que nous proposerons au lecteur en cinq épisodes, tout au long de cette semaine.
Il y a de quoi dans cette situation anéantir un enfant. Ne pas être adoptable signifie sans doute ne pas être aimable pour qui que ce soit. Vous vous rendez compte de ce qu’il peut ressentir ? Au niveau narcissique, il n’y a rien de pire et le pire reste à venir, il va errer d’établissement en établissement, comme la patate chaude que l’on se refourgue en disant qu’on lui a trouvé un projet adapté à son profil ! Ceux qui exaspèrent leur entourage, on se les refourgue comme une marchandise sans utilité et sans tenter de comprendre ce qui peut les amener à se mette dans cet état et sans jamais interroger nos parts de responsabilités individuelles et collectives.
Au LVA, inconsciemment nous avons participé à cette débandade coutumière de nos services sociaux qui n’ont de social qu’une appellation non contrôlée. Nous avons participé à l’exclusion d’un enfant, nous avons contribué à produire de l’inhumain. Nous sommes coupables de complicité d’un système qui se croit au-dessus du sujet. Je sais maintenant que nous sommes capables de créer des monstres en toute impunité, que la société viendra plus tard punir pour X raisons. En fin de compte, le système est plus fort que tout et nous continuons d’alimenter de références psycho-socio-éducatives nos façons de croire que l’on est important dans un système qui broie de l’humain sans culpabiliser puisqu’on fait un boulot validé par un diplôme, au service d’un État kafkaïen qui s’affiche comme bienveillant.
Pourquoi la psychiatrie n’a jamais voulu prendre sérieusement le relais ? Elle l’a fait timidement sans réelle conviction en proposant une pharmacopée sous forme de camisole chimique se révélant proprement inefficace. La seule fois où il été en observation dans un hôpital spécialisé, le premier soir, deux colosses de la sécurité l’ont mis à l’isolement, il a ensuite été dopé et attaché sur un lit, une journée entière.
J’ai fait remarquer au psychiatre que nous, dans la protection de l’enfance, si on avait fait pareil, nous aurions été directement accusés de maltraitance. Il a discrètement souri sans s’étendre sur le sujet.
Je ne lui jette pas la pierre à ce type, mais bon, il pourrait au moins se battre pour avoir les moyens de faire son travail d’une façon correcte. Les fermetures de lits, le peu de moyens alloués à la psychiatrie font que nos prisons recèlent au moins 40 % de gens psychotiques qui n’auraient rien à faire dans ce genre d’endroits inappropriés à leur problématique. Les autres sont dans la rue, on les appelle les SDF et ils exaspèrent leur entourage. Les quelque 20 % restant sont suivis dans des établissements dénués de tous moyens pour faire du bon boulot. Il n’y a pas besoin de la COVID pour dire que l’hôpital est malade et que dans ces conditions, il est impossible de soigner correctement.
Est-ce la société que l’on a rêvée ? Ou pour qui certains ont voté ?
Les gens qui exaspèrent, on les classe, on les isole puis on les punit. Ils sont au ban de notre société, ils sont à la marge et tout le monde veut s’en débarrasser et personne ne cherche à les comprendre ou à les excuser. Ils sont coupables de nous exaspérer et c’est suffisant pour ne leur trouver aucune excuse. Moins on les voit, mieux on se porte. La société de consommation ne souffre pas qu’on la dérange et les perturbateurs doivent être éloignés.
Deligny l’a bien compris et dans Les Vagabonds efficaces, il fait l’apologie de ces graines de crapule. Il voit en eux comme un signe de résistance au milieu hostile qui les agresse pour leur différence et leur incapacité à s’adapter à ce milieu. Pour lui comme pour Winnicott, il voit un signe de bonne santé dans cette rébellion contre l’establishment et une société égocentrée sur sa norme.
Ceux qui exaspèrent leur entourage ne sont pas près d’être compris, car ils gênent le bourgeois qui sommeille en nous. Personne ne veut avoir à faire à eux. Il faut donc les ostraciser et les rendre invisibles pour faire semblant de vivre dans le meilleur des mondes sans avoir à rendre des comptes à l’immoralité. Et l’État dans sa grande mansuétude nous dégage gentiment de toutes responsabilités. Nous sommes coupables mais pas responsables car nous avons la liberté d’obéir.
Les gens qui exaspèrent leur entourage peinent à trouver de bons avocats, ils ne sont rentables pour personne sauf quand ils seront peut-être terroristes car cela paie plus et ce n’est pas dans le social qu’ils vont trouver ce dont ils ont besoin.
Ce sont des graines de crapule qui produisent de l’indifférence ou un répulsif à la bienséance.
Les mauvaises graines, on a tendance à les éliminer mais dans le cas Erasmus ne reste-t-il pas encore des pistes à explorer ?
Nous l’avons compris, je pense que sa seule référence positive est cette assistante familiale qu’il appelle « Maman ». Alors pourquoi continuer dans cette obstination à vouloir les empêcher de se voir de se rencontrer ou simplement de vivre ensemble ?
Nous, au LVA, nous avons continué d’entretenir ce lien entre Erasmus et cette dame très attachante dans ses façons de gérer une situation délicate où l’ASE ne lui faisait aucun cadeau. A quelques occasions, je me suis même permis de l’appeler « Maman », plaisanterie qui au passage était loin de plaire à Erasmus. Nous avons ensemble réussi à maintenir contre vents et marées, un coup de téléphone par semaine et deux visites par an avec une sortie ensemble sur une journée. Le constat est simple, c’est qu’à chaque fois tout s’est très bien passé.
Pas facile à faire valider par l’Aide sociale à l’efnance qui disait que nous entretenions de l’illusion et qu’il fallait couper net ce lien pathologique. Nous nous sommes battus pour cela et cela n’était pas sans risque car l’ASE attendait patiemment qu’il y ait un accident pour mettre fin à notre désobéissance et la sanctionner au minimum par un « on avait bien raison ».
Je ne comprends pas cette obstination idéologique de l’ASE à vouloir l’éloigner de cette famille.
Etant donné son état actuel plus qu’inquiétant, il serait bon de tenter autre chose et ne pas laisser cet enfant sans autres solutions que de le changer d’établissement. Il n’est plus scolarisé et son état et de plus en plus dépressif. Il est shooté par son traitement et il ne va pas bien du tout.
Tenter de le rapprocher de cette famille serait un aveu d’échec pour l’ASE mais qu’est ce qui les empêche de se remettre en cause qui plus est pour sauver un enfant confié qui fait naufrage.
Cet entêtement est incompréhensif et moi si j’en avais la possibilité, je ferais une tentative d’accueil chez sa « Maman ». Je suis certain que ce serait loin d’être pire que ce qu’il vit actuellement et cela pourrait peut-être apporter un intérêt thérapeutique surprenant et bien meilleur qu’une camisole chimique imposée sous les ordres du DSM5 et qui n’a actuellement aucun résultat positif sur son état.
Je dénonce et je propose car je ne veux pas être complice d’une gabegie, dont seul Erasmus fait les frais. Je n’ai pas choisi ce métier pour me taire et suivre le mouvement de gens qui s’occupe d’un dossier au lieu de s’occuper d’un sujet.
Une pensée pour Maman.