Une éducatrice assassinée : retour sur un drame

Le 11 novembre dernier, à Poitiers, quelques centaines de travailleurs sociaux ont rendu hommage à Marina Fuseau, éducatrice spécialisée, poignardée quelques jours plus tôt sur son lieu de travail par une résidente souffrant de troubles psychiques. Deux ans et demi auparavant, un autre éducateur, Jacques Gasztowtt, avait été lui aussi assassiné dans l’exercice de ses fonctions (LS n° 1215). Didier Dubasque, membre du Haut-Conseil du travail social (HCTS) et assistant de service social, nous livre son analyse.

Plusieurs situations dramatiques ont récemment endeuillé la communauté des travailleurs sociaux et plus particulièrement celle des éducateurs spécialisés. Ces drames sont révélateurs des tensions et des violences inscrites dans notre système social notamment dès lors que les auteurs de ces actes pouvant aller jusqu’au crime ou la tentative d’homicide sont sujets à des troubles psychiatriques. Ceci n’excuse pas cela, direz vous, et vous avez raison.

« La forêt qui pousse silencieusement »

La violence de certains usagers des services sociaux est une réalité qu’il ne faut pas occulter. Pour autant elle n’est pas du tout représentative des pratiques de l’ensemble des personnes accompagnées. Elle ne peut nous faire oublier tous ces temps de partage, tous ces actes quotidiens d’écoute, de conseils, d’accompagnements éducatifs et sociaux qui se construisent dans un respect mutuel de personne à professionnel mais aussi de personne à bénévole. « Si l’on voit et l’on entend un arbre qui tombe, on ne voit pas la forêt qui pousse silencieusement. » Cette forêt qui pousse contre vents et marées a besoin d’attention, de respect et de prévenance.

Travailleurs sociaux, nous sommes bien placés pour savoir que la société n’est pas binaire avec d’un coté les criminels ou ceux qui pourraient l’être, et de l’autre ceux qui sont victimes d’un système qui les oppresse. Certaines victimes peuvent devenir tyranniques et vice versa. Enfin, nous ne nous étendrons pas sur certaines violences institutionnelles que des personnes « objets de mesures » subissent parfois. En aucun cas une violence ne peut en excuser une autre.

La parole de l’un et de l’autre

La violence ne survient généralement que dans un contexte où la parole disparaît. Et il est vrai que d’expérience, tous les actes de violences que j’ai pu constater au travail prennent leurs sources dans des contextes où la parole de l’un n’a plus aucune valeur aux yeux de l’autre. Rappelons nous aussi que certaines menaces sont aussi violentes que les coups. Elles instillent l’inquiétude et la peur.

Mais avoir peur, être inquiet serait un signe de manque de professionnalisme, car cette peur de l’autre est un sentiment difficile à contrôler. Les travailleurs sociaux et notamment les éducateurs apprennent justement à distinguer ce qui est rationnel, logique et ce qui relève des affects, (tout en les prenant en considération). Être « affecté » serait mal perçu par nos hiérarchies.

Question d’attitude

Nous avons une première chose à faire : parler et écrire sur nos expériences mais aussi nos inquiétudes, sur les sujets qui nous heurtent et nous interrogent.

Les menaces ou incivilités que je rencontre sont-elles en lien direct avec la situation ? Suis-je inscrit dans une démarche rationnelle, ou dois je faire face à des comportements qui ne le sont pas du tout ? Quels sont les actes et les paroles mais aussi les attitudes constatées qui sont objectivement source de notre inquiétude ? Quelle en est la graduation ? Si notre stress est en relation directe avec la situation, à quel moment avons nous été paralysés, empêchés d’agir ? Toutes ces questions devraient pouvoir être abordées de façon professionnelle.

Accepter ou non l’inacceptable

Retrouvons la source du malaise et tentons d’objectiver ce qui est en jeu. Cela nous permettra d’évaluer les risques. Il sont souvent plus importants lorsque nous faisons le choix de ne rien dire, de ne rien partager entre collègue ou avec notre encadrement qui est là normalement pour nous soutenir.

Attention toutefois à ne pas banaliser. Les travailleurs sociaux ont un degré de tolérance important. Nous pouvons même parfois accepter l’inacceptable en ne disant rien ou en préférant faire comme si nous n’avions rien entendu. Ce n’est plus possible aujourd’hui.

Oui les pratiques d’aide et d’action éducative ne sont pas sans risques et cela ne date pas d’aujourd’hui. Elles ne sont pas de tout repos pourrait-on même ajouter. Il nous faut être vigilant, continuer de faire équipe, nous soutenir mutuellement et ne pas agir comme si nous étions invulnérables. Une pratique de prudence avisée reste nécessaire.

Prenons le temps d’y réfléchir, ensemble et sans à priori. Prenons des mesures qui permettent d’éviter les débordements. Nous avons besoin de travailler dans la sécurité mais pas dans le sécuritaire. La ligne de partage n’est pas évidente, mais l’intelligence collective des équipes de travailleurs sociaux peut dans nos services apporter des réponses adaptées à nos réalités de travail.