N° 1240 | Le 27 novembre 2018 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Une croix sur l’enfance en Vendée

Jean-Pierre Sautreau


éd. La Geste, 2018, (195 p. - 18 €)

Thème : Abus sexuel

Réagissant au livre de Jean-Pierre Sautereau, l’église a suspendu deux prêtres vendéens accusés de pédophilie. Pour autant, il ne faudrait pas que l’arbre, aussi ignominieux soit-il, cache la forêt de l’humiliation et de la souillure quotidiennes que l’auteur dénonce, cinquante ans après les avoir subies au petit séminaire de Chavagnes-en-Paillers. Dans un style ciselé, il nous décrit l’enfer vécu dans cet abattoir des sacrifiés de Dieu où l’a conduit une soi-disant vocation sacerdotale.

Arraché au nid familial à 11 ans, il fut soumis à un régime disciplinaire peu imaginable aujourd’hui : dortoir de cent lits de fer, une douche froide tous les quinze jours, le silence imposé entre la prière du soir et celle du matin qui suit un réveil fixé à 5h45. Chaque trimestre sans rentrer en famille, passé sous la férule de jupes noires à apprendre à vivre de pain triste et d’eau bénite : c’était le temps jugé nécessaire pour domestiquer les corps, pour remplacer le libre arbitre par la prière et le silence et pour déposséder du moindre territoire intime. Des lettres étaient bien écrites chaque semaine aux parents. Mais elles étaient rendues enveloppe ouverte aux Javert en soutane, ripolineurs de la désespérance postale. Il leur fallait contrôler la conformité à ce qu’eux-mêmes et les familles voulaient lire.

Ces chasubles sanctifiées par l’église et béatifiées par la société rurale vendéenne, exerçaient une tyrannie et un arbitraire permanents : « les élèves se feront remarquer par un respect affectueux et une entière soumission envers leurs maîtres qui tiennent la place de Dieu à leur égard », proclamait le règlement. Physiquement maté et spirituellement enfumé, le plus grand nombre acceptera son sort, jugeant ce passage comme incontournable pour répondre aux espérances placées en eux. C’est que, en mal de troupes, les maquignons en calotte inoculaient dans chaque paroisse leur venin auprès des fidèles les plus dévôts, leur assurant une place de choix au banquet éternel, s’ils acceptaient d’immoler leur fils au bénéfice de l’église.

Jean-Pierre Sautreau résista six ans. Soupçonné d’être un dangereux réfractaire dont l’irrécupérabilité manifeste risquait de contaminer le reste du troupeau, il finit par être chassé. Il restera marqué à vie, ne pardonnant jamais à ses parents de l’avoir ainsi arraché à son enfance. Cri de révolte et de souffrance, ce livre doit être lu pour que jamais ne soit oublié le sacrifice de ces enfants qui n’auront connu à travers ces prélats que rudesse et intransigeance, bien loin de l’amour du prochain qu’ils prêchent
par ailleurs.


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