N° 1290 | Le 2 mars 2021 | Par Florian Lefevre-Delattre, animateur clown | Espace du lecteur (accès libre)

Un peu de cosmologie clownesque …

Journal de bord : vendredi 20 novembre 2020
Dans la lune, je me réveille un peu en retard. Je n’ai pas le temps de prendre mon petit déjeuner. Pas grave : je me fais un brin de toilette et je file au boulot.
Au programme de la matinée : réunion d’équipe. C’est moi qui l’anime. J’ai bien trop souvent l’impression de ne pas savoir le faire. Pas grave : j’improvise, je brode, je tricote ; ça passe. Bien que ce soit une manœuvre de vol que je ne maitrise pas encore, j’ai au moins le sentiment de savoir où je mets les pieds. Avec un peu d’astuce, le vide spatial n’est pas si effrayant que ça.
Rien à voir avec le programme de l’après-midi : atelier rencontre en visio à l’école Edouard Lacour. Là, je navigue vraiment vers l’inconnu. Heureusement je ne suis pas seul, tout un équipage motivé comme jamais m’accompagne. Mais l’itinéraire n’est pas si simple.
L’équipe de Clownenroute anime des ateliers en visio depuis le (premier ?) déconfinement. Bien que ce soit très éloigné de ses ateliers d’origine, elle se lance avec courage vers des contrées inexplorées. L’essentiel est toujours présent : le lien.
Entre une connexion internet hasardeuse, de nouveaux équipements à calibrer, des professionnels qui font au mieux et des participants qui découvrent vingt années d’évolutions technologiques en vingt secondes ; c’est un petit pas pour l’Homme, un bond de géant pour les ateliers. Alors l’incroyable se produit. Un miracle.
Depuis mars (le mois, pas la planète) nous avons eu le temps de découvrir quelques astuces dans la nébuleuse pour mener la mission à bien : la durée des ateliers (au-delà de quarante-cinq minutes, il devient très dur de garder l’attention), le nombre de participants (plus de cinq, et c’est la cacophonie), la nécessaire présence d’un référent derrière l’ordinateur et surtout de ne pas tomber dans le piège de vouloir faire un atelier clown conventionnel…
Malgré ces difficultés, nous avons su garder le cap et ne pas se laisser happer par les trous noirs.
Mais revenons à notre rencontre.
Cela fait des années que l’équipage de Clownenroute réalise des interventions dans les écoles de l’agglomération d’Agen. Les élèves peuvent découvrir le dispositif d’expression clownesque. Le plaisir de la transformation, de se (re) découvrir autrement et de tout simplement jouer est là. L’improvisation peut naître car le cadre peut être recréé malgré la situation. Mais si la forme est bien présente, il nous manque le fond : la rencontre avec des acteurs clowns expérimentés. Jouer, découvrir l’autre différent et accepter ses bizarreries fait partie intégrante du voyage. Alors comment faire ? Ce vendredi 20 novembre, la communication a été rétablie pendant une vingtaine de minutes. Les élèves de CE2 de l’école Edouard Lacour à Agen et la compagnie des Pots Agés de Las Canneles à Valence d’Agen ont pu échanger sans retenue de leurs vies si éloignées. Vingt minutes pendant lesquelles les échanges sous forme de questions/réponses ont permis de retrouver des points communs, malgré la distance, au travers de l’espace-temps. Quelle surprise pour les uns de se découvrir passions communes pour Plus Belle La Vie, le rugby et la peinture ! Les autres furent étonnés d’entendre parler du handicap comme on parle d’une éraflure aux coudes, les capacités étant plus mises en avant que les difficultés. Cerise sur le gâteau cosmique : un jeune détaché de l’ITEP des deux Rivières présent sur tous les ateliers à l’école pour découvrir le métier d’animateur, a pu se rendre disponible pour accompagner les élèves dans cet instant particulier, cette éclipse d’une rare beauté. Quand l’univers parvient à aligner autant de corps célestes différents il faut savoir s’arrêter, et prendre quelques photos.
Au-delà de ces vingt minutes la communication fut rompue, mais rendez-vous fut pris pour des rencontres ultérieures.
Et le clown dans tout ça ? Et bien il s’efface. Humble, il sait laisser sa place pour l’essentiel : la rencontre de l’autre, l’étranger. Il est tout de même parvenu à pointer le bout de son nez l’espace d’une question posée par un élève : «  Comment vous gérez votre stress avant de monter sur scène ?  ». La réponse fut aussi simple que déconcertante : «  Je prends un bon petit déjeuner le matin  ». Depuis, et dès que je dois naviguer vers l’inconnu, je prends le temps de me lever un peu plus tôt.
Fin du journal de bord.