Travail social • Le peuple des invisibles

Qui sont aujourd’hui les « invisibles » du travail social ? Une étude menée par l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion auprès des travailleurs sociaux, rendue publique le 18 novembre, révèle un public très divers : des étrangers en situation irrégulière, des victimes de traite, des personnes non domiciliées, des jeunes sortants de l’aide sociale à l’enfance (ASE) sans le contrat jeune majeur dont ils auraient besoin… En bref, tous ceux qui n’entrent pas dans le « modèle de l’intégration et de l’insertion par l’emploi ».

Les travailleurs sociaux ont pointé « les effets pervers des dispositifs », notant que « l’évolution du travail social se fait à travers une tendance à la spécialisation et à la rationalisation de l’action dans une logique gestionnaire de dispositifs contraignant parfois les travailleurs sociaux à « fermer les yeux » sur les difficultés qu’ils n’ont pas les moyens de résoudre ou à se contenter de traiter les symptômes sans pouvoir agir sur les causes ».

À l’inverse, l’étude révèle également que certains travailleurs sociaux tentent de contourner les cadres institutionnels trop rigides, par des « pratiques clandestines », elles aussi invisibles, portées par des professionnels qui se perçoivent comme « des résistants à l’ordre social imposé ». Les travailleurs sociaux peuvent être des veilleurs sociaux mais aussi participer de cette « invisibilisation sociale ». « L’injonction à l’efficience et à l’évaluation » les pousse à consacrer plus de temps à l’administratif qu’à l’accompagnement. Et à s’éloigner de la réalité des personnes. « Il y a une telle volonté de contrôle avec les logiciels que cela rend le travail des travailleurs sociaux très administratif, en décalage avec leurs missions premières. C’est un véritable frein à l’accompagnement social global où on pourrait repérer le potentiel des familles », avance un travailleur social.

Par ailleurs, l’empilement des dispositifs, la spécialisation grandissante des interventions, entrainent un « découpage des publics ». Les personnes sont amenées à raconter leurs histoires à de multiples interlocuteurs, qui ne se coordonnent pas forcément, au risque de les décourager ou de brouiller les informations. Cette « superposition des échelles d’intervention renforce la tendance de chacun des acteurs professionnels à reporter sur les autres la responsabilité de certaines prises en charge ». Au risque de renvoyer ces personnes vers l’invisible.