N° 1340 | Le 23 mai 2023 | Par Kévin Mareschi, éducateur spécialisé indépendant | Espace du lecteur (accès libre)

« Social »

Thèmes : Éthique, urgence travail social

Lorsque l’on a mal à son social, coucher sur le papier ses émotions est parfois salutaire et source d’inspiration. Poème, slam ou chanson sont alors inspiration.

J’ai mal à mon social… ça me grignote le mental, ça affecte mon moral
Je rumine, me débats, moi le petit travailleur social
Mais mes cris semblent étouffés, je n’entends qu’un écho
Qui se dissipe, disparaît, avec mes derniers mots
Que j’ai tant de foi tenue. Avec moi-même, des proches ou des inconnus
Je me répète, j’ai mal à mon social, ça fait longtemps que notre bateau est à la dérive
Il menace de sombrer d’engloutir l’équipage
Et les passagers qui espéraient trouver la paix, pourraient être éjecté avant la fin du voyage.
Comme d’autres, j’ai voulu croire qu’on pouvait changer les choses de l’intérieur
Mais ces grands paquebots sont immuables même si tu prends du galon
Les institutions sont aseptisées, sans réelle identité
J’ai vogué de structure en structure, frôlant parfois la rupture
Mais ils ont gangrené le milieu en nommant capitaine
Des gestionnaires qui parlent budget, rentabilité.
L’état capitaliste prend le problème à l’envers
Et capitalise sur sa vision court-termiste, réduction des budgets, des effectifs
Je n’ai jamais été fort en math, mais le résultat est que l’addition est salée.
Pour ceux qui sont le plus en difficulté,
On ne peut accuser le système de tous les maux
Mais je l’accuse de renforcer les inégalités, je l’accuse d’augmenter la précarité
Je l’accuse du sort qu’il réserve aux réfugiés, je l’accuse de délaisser les enfants placés
Je l’accuse du manque de places pour les personnes handicapées
Je l’accuse de maltraiter mon cher social
Mais je ne suis ni un juge ni un procureur
Je me place avec les miens, comme victime complice et témoin
De cette mascarade qui se joue et se rejoue sans fin.
Alors mes frères, mes sœurs
Mais encore combien de temps, nous continuerons à nous taire ?
Mais encore combien de temps, nous les laisserons faire ?
Mais encore combien de temps, nous accepterons l’inacceptable ?
Mais encore combien des nôtres, quitteront le secteur par dépit ?

Ils sont en train de tuer le cœur de notre métier, ce qui nous définit en tant qu’éducateur spécialisé
Plus de concours d’entrée, on ne fait que taper des projets
Passer notre temps derrière l’ordinateur, loin du terrain normal pour un coordinateur,
Les recruteurs nous mettent tous dans le même panier, en oubliant, nos spécificités
Alors expliquons-leur
Social du latin soucis, qui signifie compagnon, nous sommes ceux qui accompagnent
Vers la maturité, l’autonomie, l’émancipation, l’estime de soi, l’intégration
Nous sommes ceux qui écoutent des parents perdus
Dont les difficultés perdurent, le père de madame était dur
Un ancien enfant placé dans ce qu’on appelle le foyer
Nous sommes ceux qui prennent les temps d’entendre les blessures du passé
Nous sommes ces robots multifonctions avec toutes les options
Enseignant, cuistot, plombier, psy, homme de chambre, infirmier
Mais notre métier qu’est-ce que c’est ?
C’est passer du temps ensemble et regarder ensemble le temps qui passe
C’est ce petit minot arrivé au foyer à 8 ans qui en a 18 maintenant
Moi aussi à l’époque j’étais un jeunot, je vais devenir daron dans quelque temps
C’est pleurer la mort, célébrer un anniversaire, une bonne nouvelle
S’inquiéter, hausser le ton, se remettre en question
C’est un sourire après les larmes, c’est accepter d’être surpris
C’est aussi se faire insulter, la fatigue, le rythme du foyer
Les horaires découpées, les nuits, les week-ends et les soirées,
C’est essayer de faire au mieux, quand pour nous ça ne va pas pour le mieux,
C’est improviser des pas de danses afghanes dans un hôtel miteux
C’est avoir la patience de patienter, de répéter, de respecter chacun dans son entièreté
C’est cette bête qu’il faut nourrir, celle qu’on nomme relation éducative sinon elle se laissera mourir
C’est essuyer les conséquences du système, car nous sommes en première ligne
C’est inventer, créer avec trois fois rien, c’est se satisfaire, d’un sourire esquissé
Ce sont ces gamins fracassés qui te rentrent dedans, pour voir si c’est solide, si c’est dur
Pour voir s’ils pourront s’appuyer sur toi comme sur un mur
Ce sont ces réunions où l’on brasse de l’air
Où l’on parle d’avantage d’organisation que de situations,
Où l’on décide de balader des gamins d’institution en institution
Comment peut-il devenir acteur de sa vie, si on ne lui demande jamais son avis
Comme une drogue ce métier est addictif, un peu trop accro je crois qu’on est tous un peu maso
Pour certains c’est game over, c’est l’overdose
Parfois moi aussi, j’ai un Fuck le social qui tourne en boucle dans ma tête
Mais je me rappelle qu’il a fait de moi, l’homme que je suis aujourd’hui
Nous qui nous battons pour la dignité des faibles, que va-t-on faire pour nous-même ?
Alors mes frères, mes sœurs
Mais encore combien de temps, nous continuerons à nous taire ?
Mais encore combien de temps, nous les laisserons faire ?
Mais encore combien de temps ; nous accepterons l’inacceptable ?
Mais encore combien des nôtres, quitteront le secteur par dépit ?
Ceci est un appel à la révolte, à la rébellion, si l’union fait la force alors soyons légion
Sortons de notre torpeur, ce sont eux qui ont tort alors n’ayons pas peur
Hissons nos couleurs, crions nos valeurs, réunissons tout le secteur, As Éducateur
Allumons les projecteurs soyons dévastateurs, pointons leurs erreurs, dénonçons les horreurs,
Appuyons sur le détonateur, pour devenir des bâtisseurs, car nous sommes, des libres penseurs
Dispersés dans nos champs d’intervention, notre point fort n’est pas la communication
Unissons-nous peu importe le secteur, car nos souffrances, nos revendications sont les mêmes
Levons la tête, ne courbons plus l’échine face à cette bureaucratie
Qui nous méprise, qui crache toutes ses inepties, où sont nos modèles, nos leaders revendicatifs ?
Ne les laissons pas tordre le cou à nos idéaux
L’espoir se cache dans l’ombre, un espoir de fou, ça tombe bien on a l’habitude de côtoyer la folie
Changeons notre passivité en combativité
Changeons les choses avant que les choses nous changent
Remplaçons notre scepticisme, notre résignation, par un tourbillon de détermination
Nous sommes ceux qui dans l’ombre, donnons de l’énergie, du temps, de l’espoir
À ces graines de crapules qui attendent qu’on les arrose
Pour un jour fleurir, pour un jour essayer de s’épanouir
Prenons le social dans nos bras comme un enfant placé,
Qui a perdu ses repères car dénigré, maltraité

Alors sortons de l’obscurité, sortons les publics qu’on a restreints et enfermés
Créons de nouveaux modèles, créons un monde parallèle
Soyons force de proposition, force de conviction
Rentrons en résistance, faisons preuve de résilience
Repensons l’accompagnement mettons en avant nos compétences
Nous ne serons plus les perdants, nous avons changé de camps
La voie du juste est semée d’embûche, notre force sera dans l’union
La valeur de nos actes repose sur nos intentions.