N° 1064 | Le 31 mai 2012 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Sales merveilles. Enfants des rues de Kathmandou

Bertrand Midol (texte), Frédéric Grimaud & Alexia Fourneau (photos)


Auto-édition 2010 (190 p. ; 29 €)

Thème : Droits de l’enfant

Voilà un livre à se procurer, sans délai. Pour découvrir, d’abord, ses magnifiques photographies d’une force et d’une intensité peu communes. Pour se délecter, ensuite, de son écriture fine et précise. Pour la pertinence et la justesse, encore, d’un propos sans concession qui décrit une réalité aussi terrible qu’attachante.

Le Népal reste un pays à la fois pauvre et archaïque, faible en ressources et riche en superstitions qui aveuglent ses populations sur l’origine de leur misère et l’anesthésient sur les moyens d’en sortir. Tout y est à la fois beau et laid, triste et gai, fascinant et repoussant. La chaleur de l’hospitalité n’y a d’égale que la puissance de la violence sociale, tant entre mari et femme, qu’entre père et enfants ou entre castes. La beauté des sourires est proportionnelle à la dureté de la survie, fondée sur une économie de subsistance laissant la moitié de la population en peine pour se procurer un repas par jour.

Au cœur de ces paradoxes, Kathmandou constitue une pseudo-mégalopole villageoise où la structure familiale se liquéfie dans l’acidité de la misère. Loin de protéger ses enfants, elle les néglige, les utilise, les exploite pour finir par les mépriser ou les maltraiter. Les plus grands doivent parfois partir plus tôt que prévu et se débrouiller pour survivre. À dix ans, mais tout autant à huit ou à six ans ! Parce qu’on ne peut plus les nourrir ou qu’ils sont cruellement battus. Ils ont déjà connu la rue pour y avoir joué, vagabondé, mendié, l’école étant inabordable pour eux. Ils vont finir par y dormir et y vivre, très vite absorbés par une bande qui leur apporte la sociabilité et la sécurité auxquelles leurs parents ne peuvent plus pourvoir.

L’affiliation par les pairs se substitue à la filiation familiale. Même si le groupe les préserve de la déchéance, l’attachement à la rue qu’il renforce leur propose une liberté bien illusoire. Car la protection qu’il semble assurer est parfois aléatoire, la loi qui y règne étant celle du plus fort. Les garçons les plus jeunes peuvent y être rackettés ou volés, pendant que le peu de filles présentes sont violées et très vite vouées à la prostitution. L’enfant des rues évolue au plus bas de l’échelle sociale : il est considéré comme une racaille, une tare et un parasite.

Ce terrible tableau laisse néanmoins émerger un faible espoir, celui de l’action menée par des associations comme Pomme Cannelle, pour laquelle Bertrand Midol a travaillé bénévolement durant cinq mois. Accueil d’urgence, scolarisation, foyer familial, formation professionnelle… Le dispositif proposé constitue, bien sûr, une goutte d’eau face aux neuf mille enfants vivant dans les rues de Kathmandou. Mais confrontée au mur de l’impasse, la conviction humaniste surpasse le découragement et ravive l’espoir.


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