N° 1326 | Le 1er novembre 2022 | Par Aïssa OUNANE, éducateur spécialisé et formateur occasionnel en travail social | Espace du lecteur (accès libre)

Redonner des éclats de vie au travail social : des moyens pour se ressaisir

Thèmes : Usure professionnelle, Pratique professionnelle

Décrire les conditions professionnelles des travailleurs sociaux : stress, usure… est une réalité que nous avons tous besoin d’exprimer. Néanmoins, le ressassement de nos situations devient contre-productif pour notre santé mentale et pour la survie de notre identité professionnelle. Car nous ne pensons plus aux solutions possibles, mais à décrire des situations qui ne proposent, bien souvent, que des disques aux airs plaintifs, et qui se renouvellent jour et nuit… La vraie question me semble-t-il, n’est pas seulement de savoir si nous devons sacrifier les valeurs du travail social au profil de logiques capitalistes, mais de comprendre pourquoi nous n’arrivons pas à lui redonner des éclats de vie. N’avons-nous pas ici une part de responsabilité, nous éducateurs, travailleurs sociaux ?
Pour préserver les valeurs du travail social, j’ai souvent pensé qu’il suffisait de faire preuve d’enthousiasme et d’innovation dans nos activités éducatives… Mais j’ai compris que le travail social reflétait une grande partie du monde intérieur des êtres humains. En effet, au quotidien, nous décrivons nos incompréhensions, nos «  ras-le-bol  » face à des institutions qui nous empêchent parfois d’exprimer nos spécificités éducatives. Mais, nous oublions de poser un regard profond et critique vis-à-vis de nous-même… Les relations au travail sont souvent faites de vices, de stratégies, de polémiques et d’hypocrisie. Beaucoup décrivent des réalités institutionnelles : manque d’écoute, de considération, mais observent-ils leurs propres contradictions ? Combien de travailleurs sociaux semblent se réjouir lorsqu’on ne les invite pas à penser le travail éducatif ? Combien sont persuadés que les facteurs et les décisions qui mettent en péril notre secteur sont uniquement liés à des défauts managériaux ou à des paramètres politiques ? Or nous sommes, nous les éducateurs, parfois les premiers à nous déresponsabiliser envers le travail éducatif, en «  s’asseyant  » sur nos valeurs professionnelles, en faisant le minimum, en termes de réflexivité, d’analyse et d’accompagnements cliniques… Les problèmes collectifs sont surtout le reflet d’un manque de travail individuel. Comment rebondir ?

Le travail intérieur

Les moyens pour rebondir sont possibles par un travail intérieur et de développement personnel, utile chez les cadres, les travailleurs sociaux compte tenu des difficultés des publics qu’ils accompagnent, et celles auxquelles ils sont eux-mêmes confrontés. Le rebondissement peut aussi se faire au travers de nos choix professionnels tout en préservant le sens du respect et de la dignité. Par exemple, un professionnel est en droit de quitter l’institution dans laquelle il travaille et dans laquelle il ressent ne plus être à la bonne place, au lieu de subir continuellement son quotidien et de mettre en danger sa santé. Vous êtes responsables de votre situation, avant d’observer celle des autres… Vous avez aussi le droit d’aspirer à un avenir professionnel meilleur et de continuer à voyager ailleurs… Parfois, nous subissons des situations alors que nous avons le pouvoir de nous prendre en main. Pourquoi ne pas ouvrir une ferme à la montagne, une petite entreprise, s’orienter vers un autre type de publics, et de continuer à croire en la vie ?
Trop souvent l’être humain se trouve toutes les excuses du monde pour ne pas rechercher à faire évoluer ses situations. Voilà où se trouve son problème : la peur d’évoluer alors qu’il est conscient de ses réalités et de ses peurs. Nous refusons généralement d’affronter nos situations en prétextant que nous ayons des loyers à payer, et que nous sommes en contrat à durée indéterminée… Nous nous interdisons de prendre des décisions pour notre bien-être, donc les routines professionnelles nous emprisonnent. Ce sont nos modes de pensées qui créent notre stagnation et notre malheur, comme le montrent les thérapies cognitives et comportementales.

Réinvestir nos savoirs-être, continuer à se former

Rappeler le «  ras-le-bol  » au quotidien ne permet pas à l’être humain de réussir sa vie. Or, si nous critiquons sans cesse le monde extérieur, sans interroger nos façons de fonctionner, comment pouvoir s’observer et rebondir en bienveillance ? Modérer la plainte peut nous aider à retrouver davantage d’espérance, de clarté et de positivité. Nous avons la capacité de reprendre du pouvoir sur notre vie si nous réévaluons nos conceptions et agissons humainement sur nos situations. Voilà des phrases simples qui peuvent susciter des changements. Car le travailleur social qui s’oublie, ne se respecte pas et dresse des entraves à ses futures floraisons et réussites.
Pour rebondir, souffler, se réinventer, le travailleur social peut apprendre à revenir à ses capacités de savoir-être : écoute, empathie, relation saine, non pas qu’elles ont disparu, mais qu’elles sont souvent étouffées par des climats néfastes. Cette possibilité ne peut néanmoins se réaliser sans un travail d’éveil. Les lectures, les formations continues, les analyses de pratique offrent la possibilité d’une connaissance et d’une richesse individuelle et collective.
Lisez des livres, pour reprendre confiance en vous ; lisez pour travailler sur vos blessures, pour mieux cerner le monde ; lisez pour pouvoir échapper aux pensées binaires. Ne restez pas enfermés dans votre vie professionnelle, essayez de vous former dans le domaine de la psychologie, le développement personnel, l’anthropologie, appréciez la nature, vous gagnerez en liberté intérieure et améliorerez votre vie. Si nous voulons que le travail social retrouve sa chaleur fondatrice, il faut que tous ses participants continuent à travailler sur eux-mêmes et à prendre soin d’eux. Avons-nous peur au fond, d’œuvrer pour une santé intérieure meilleure, un monde meilleur, une société meilleure, des échanges meilleurs, une qualité de vie au travail meilleure ? Est-ce que nous serons plus heureux au travail, en ne répondant qu’à des commandes pour être «  tranquille  », en réalisant des accompagnements en quantité, dénués de qualité, ou en étant libre intérieurement ?
Il est alors utile de travailler le lien à notre intérieur, prendre nos responsabilités, préserver notre éthique, notre lucidité, notre sens de l’engagement, donc nos capacités à faire des choix humains et responsables. Ainsi, notre destin nous alerte au regard des contextes de grandes pollutions qui perdurent, là où les réelles considérations pour les situations humaines ne sont plus souvent au goût du jour, mais centrées sur des stratégies de survie, des politiques de vices basées sur des relations malhonnêtes, où chacun parle sur le dos de chacun. Et nous nous étonnons de voir tant de personnes se retrouver dans des situations d’usure professionnelle… Molière disait : «  L’hypocrisie est un vice à la mode et tous les vices à la mode passent pour vertus.  » (1) Le plus grand problème du travail social, n’est pas le manque de moyens, contrairement à ce que nous croyons, mais le manque de respect profond envers nous-même et envers tous les êtres humains.
En revenant à une éducation sur soi, (car la vraie question est ici), le secteur du social guérira au regard de ses propres plaintes décrites abusivement, parce qu’il y a des dé-responsabilités avant tout personnelles, qui se déclinent en dé-responsabilités collectives. Redonner des éclats de vie au travail social, oui ! À condition d’abord que nous travaillons sur notre univers intérieur !


(1) Molière, https://www.abc-citations.com/themes/hypocrisie/