Radicalisation : les études se suivent et divergent

Comprendre : depuis la survenue des attentats djihadistes commis par Mohamed Merah en 2012, puis à Paris en janvier et novembre 2015, plusieurs travaux de recherche tentent d’expliquer les causes de la radicalisation afin de mieux la prévenir.

Une récente enquête sur les jeunes suivis par la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), intitulée Radicalité engagée, radicalités révoltées, analyse les profils de mineurs passant à l’acte (1). Après 18 mois de recherche et 133 dossiers de mineurs étudiés, Laurent Bonelli et Fabien Carrié, chercheurs à l’université de Paris Nanterre, distinguent deux profils, les « révoltés » et les « engagés », et quatre formes de radicalité.

Révoltés et engagés

Le premier groupe, celui des révoltés, rassemble des mineurs habituellement accompagnés par la PJJ, à l’histoire familiale et sociale complexe, qui connaissent des phénomènes de bandes et la délinquance. Selon les chercheurs, ce groupe présente le plus faible risque de passages à l’acte « les plus sérieux ». Ils seraient sujets à une radicalité « apaisante » - donnant un cadre dans le chaos familial -, « agonistique » - en réaction contre les parents - ou « rebelle » - en opposition aux institutions et à la société.

Le groupe des « engagés », celui qui commet selon les chercheurs les actes les plus graves, est composé de jeunes issus de familles stables avec de bons parcours scolaires, mais fragilisés par la compétition scolaire lors du passage en lycée. Coupés de leur groupe de pairs, ils se tournent vers les réseaux sociaux et développent alors une radicalité « utopique ».

Une réalité sociale différente

Le ministère de la justice, commanditaire de la recherche, insiste lourdement dans son dossier de presse sur le fait que « les actes les plus sérieux sont perpétrés par ceux que l’on attendait le moins » : des jeunes « pour la plupart inconnus des services sociaux, plutôt bons élèves et avec des parents actifs ».

Le problème, c’est que la réalité est bien différente. Certes, depuis le début de la guerre en Syrie, le profil des « engagés » issus de familles « sans histoire » a émergé, tout comme celui des jeunes femmes radicalisées. Mais l’analyse du profil des auteurs d’attentats commis sur le sol français depuis 2012, que l’on peut qualifier « d’actes les plus graves », montre une surreprésentation d’hommes jeunes ayant déjà commis des délits, fichés par les services de police et de renseignements, dont la moitié a déjà connu la détention et qui ont parfois été accompagnés par les services sociaux pour des raisons sociales et familiales – Mohammed Merah et les frères Kouachi notamment.

Se méfier des typologies

Une étude de l’Institut français des recherches internationales (IFRI), à paraître le 10 avril, montre également que sur 137 personnes majeures condamnées pour djihadisme entre 2004 et 2017, la moyenne d’âge est de 26 ans, 40% sont issus de quartiers défavorisés et 90% de familles nombreuses ou très nombreuses, ils sont majoritairement en situation précaire, 40% ont déjà un casier judiciaire, près de 60% ont des parents originaires du Maghreb et 74% sont musulmans de naissance, contre 26% de convertis (2).

Si l’enquête de l’université de Paris-Nanterre montre à raison que la réponse judiciaire, qui s’est considérablement durcie, doit être adaptée - ne pas surréagir à l’apologie du terrorisme pour ne pas renforcer la radicalisation, être attentif aux « engagés » qui n‘ont aucune expérience avec le milieu carcéral - elle ne constitue donc qu’une analyse parmi d’autres des « micro-glissements » vers la radicalisation. Comme le relèvent les auteurs : « Les typologies présentées ici doivent être considérés avec prudence, la réalité sociale étant toujours moins tranchée que les catégories ». Preuve, s’il en fallait, que sur ce sujet comme tant d’autres la multiplication des sources de connaissance est impérative.

(1) Laurent Bonelli et Fabien Carrié, Radicalité engagée, radicalités révoltées, Enquête sur les jeunes suivis par la PJJ, Université de Nanterre, janvier 2018
(2) Marc Hecker, 137 nuances de terrorisme. Les djihaidstes de France face à la justice, Focus stratégique, n°79, IFRI, avril 2018

Dans le prochain numéro de Lien social à paraître le 17 avril, le décryptage portera sur une autre étude, celle de Véronique Le Goaziou, La prévention spécialisée à l’épreuve de la radicalisation et du fait religieux.