N° 1338 | Le 25 avril 2023 | Par Alexandrine Sanchez, psychologue clinicienne - psychothérapeute familiale et Farid Zennir, éducateur spécialisé - référent parcours Association AVEF / PRE Seyne sur mer | Échos du terrain (accès libre)

Quartiers sensibles : le bilinguisme en co-thérapie

Thèmes : Parentalité, Couple, Psychothérapie, Maternité, Thérapies familiales

L’articulation Psychologue/éducateur en contexte psychosocial et interculturel est parfois essentiel afin de permettre de faire un travail de fond sur toutes les composantes de la psychè mais aussi sociales et familiales des familles accompagnées au quotidien.

La Cité éducative est le nom donné à La Seyne sur mer au Programme de réussite éducative (PRE) qui met en place des activités favorisant la réussite éducative des élèves comme par exemple des projets culturels.
Des permanences de rencontres y sont organisées avec des parents repérés en difficultés par les enseignants au sein des écoles.
C’est le cas, ce jour-là, de Yasmine, 38 ans, mère de deux fillettes de trois et deux ans. Yousra, l’aînée, repérée dès les premiers jours de la rentrée par la maîtresse, présente de sérieux troubles de comportement, faisant penser à un trouble de la sphère autistique. Elle a besoin d’une prise en charge thérapeutique adaptée, afin d’éviter un échec lors de son entrée en maternelle. Sa maman s’est mariée avec un cousin pour partir de chez elle dans un contexte d’enfance difficile, sa propre mère l’ayant donnée à sa tante. Très vite est née Yousra, puis Naïma dans un contexte d’isolement maternel assez dévastateur, nous soupçonnons même une dépression du post-partum suite au premier accouchement. La naissance d’une enfant est toujours un moment délicat psychiquement dans la vie d’une femme surtout lorsque celle-ci se déroule dans un contexte d’exil et d’isolement. De plus elle vit avec son mari qui est ouvrier dans le bâtiment dans un logement pollué par un important trafic de drogue, ce qui créé une insécurité supplémentaire. Souvent, ces femmes deviennent mère et épouse sans avoir coché la case femme. L’expression des émotions leur est difficile et le fait de s’exprimer en langue maternelle est très étayant. Cela a permis à cette maman d’accéder à toutes les propositions de soin.
Nous allons travailler à plusieurs niveaux.
La première rencontre s’est faite Yousra et sa mère. Puis, très vite, nous sommes allés rencontrer la famille entière au domicile, afin de rencontrer le père le soir après son travail ce qui nous aussi permis de faire la connaissance de Naïma.
Puis, nous avons beaucoup travaillé le lien mère/enfant et une fois le CAMPS mis en place et les progrès de Naïma effectifs (elle a pu rester dans une scolarité normale) est apparu un grand besoin pour Madame de travailler sur son histoire d’autant plus que venait de naître un petit garçon.
Nous n’avons pas hésité à parler de nous, sans rentrer dans trop d’intimité pour s’affilier et résonner en elle afin qu’elle nous fasse confiance et qu’elle puisse avancer dans ce travail thérapeutique à deux voix.
J’interviens depuis près de quinze ans dans une association de soutien à la fonction parentale à la Seyne sur Mer en qualité de Psychologue clinicienne/Psychothérapeute familial et plus particulièrement dans un dispositif d’État le Programme de réussite éducative (PRE) qui vise la réussite des élèves de 3 à 16 ans dans les quartiers prioritaires où j’anime des consultations de guidance parentale seule et de thérapie familiale en binôme Psychologue/éducateur dans un contexte interculturel.
La Seyne sur mer est composée d’une cité d’environ 15 000 habitants dont les habitants sont la plupart sont issus de l’immigration : Sénégal, Maghreb…
Très vite, nous nous sommes rendus compte qu’intervenir en prenant le problème de front était une erreur et que le travail affiliatif s’avérait capital surtout pour des familles exilées et souvent traumatisées. Quand elles arrivent au PRE, la porte d’entrée est quasiment toujours scolaire, les établissements étant les premiers orienteurs. Le but étant d’éviter des échecs scolaires parfois très fréquents.
L’équipe met alors en place différentes rééducations (orthophonie, psychomotricité, des bilans le plus souvent neuropsychologiques et activités afin de favoriser la réussite éducative de l’enfant.
La grande majorité des consultations se font in situ au cœur de la cité, dans les établissements scolaires ou bien encore à domicile, ce qui évite de perdre les familles et permet de se mettre d’emblée à leur portée.
La coordinatrice évalue les besoins avec l’éducateur référent fait le premier entretien d’évaluation et ils m’en parlent par la suite si des besoins psychologiques se font sentir. Je fais en moyenne deux jours de présence par semaine et de consultations dans leurs locaux.
Quand des personnes maîtrisent mal le français nous avons la grande chance de faire les entretiens en traduction simultanée pour favoriser l’émergence et l’expression des émotions avec deux collègues d’origine Maghrébine.
C’est souvent la langue arabe qui est nécessaire ce que maîtrise le collègue éducateur.
Le concept de «  marmites  » développé par le Docteur Ibrahim Pédopsychiatre s’est lors rapidement imposé à nous car comment s’affilier à une famille exilée sans donner une part en nous-mêmes pour rentrer en résonance avec elle sans raconter sa vie privée ni rentrer dans la familiarité.
En effet le Docteur Ibrahim nous a proposé lors d’une formation de rencontrer autrement les familles qu’avec notre étiquette professionnelle qui fait souvent très peur, pour ma part celle du «  médecin des fous  ».
Quand nous intervenons avec les familles nous utilisons aussi le questionnement indirect qui évite de mettre d’emblée la famille en accusation face aux problèmes de leurs enfants. Toutes les questions, réflexions ou interrogations passent par la thérapeute.
Les concepts systémiques de circularité et de travail familial se sont aussi révélés nécessaire pour travailler sur le groupe familial autour de notions telles que Résilience.
Le Psychologue et l’éducateur devenant une base de sécurité provisoire sur laquelle la famille peut s’appuyer pour récupérer un mode de fonctionnement meilleur et surtout dépollué des traces traumatiques bien souvent liées au contexte dans lequel s’est déroulé l’exil. Nous utilisons aussi beaucoup les objets flottants tels que le génogramme (sorte de carte familiale en plus complexe) afin de faciliter l’émergence de la parole et des émotions.
Les résultats de nos actions le démontrent : le travail en bilinguisme permet aux émotions de se libérer et d’accueillir réellement les personnes accompagnées dans toutes leurs dimensions psychiques.
Mon rôle est d’œuvrer au quotidien pour la réussite scolaire et éducative des enfants. Les mineurs que nous accompagnons au quotidien font partie d’un système familial avec pour chacun un parcours, une histoire.
En effet, nous accueillons des familles de tout horizon et il nous semble essentiel de les accompagner avec bienveillance et une attention particulière. Le fait de proposer des entretiens sous une autre forme notamment en faisant appel à divers outils tels que les objets flottants, la traduction etc. contribue à rassurer les familles et rendre les rencontres d’autant plus riches en humanité. C’est dans ces moments que les appréhensions s’estompent et nous optimisions les chances de voir naître une relation éducative et thérapeutique pour laisser place à un suivi dans l’intérêt des familles. L’approche ethno systémique ouvre les champs des possibles et les possibilités sont d’autant plus grandes lorsqu’un travail psycho éducatif peut être proposé.


Bibliographie :
- Ibrahim S. 2015 «  Le bébé est témoin des mondes. L’expérience d’un espace de médiation ethnoclinique  », Spirale numéro 75 p.94-102.
- Delage M., Cyrulnik B., 2008 «  Famille et Résilience  », Paris Odile Jacob.