N° 1014 | Le 14 avril 2011 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Pourquoi nous n’aimons pas la démocratie

Myriam Revault d’Allonnes


éd. Seuil, 2010 (148 p. ; 13 €) | Commander ce livre

Thème : Philosophie

Si la fonction de la philosophie consiste bien à nous faire réfléchir, en nous aidant à opérer un pas de côté, l’ouvrage de Myriam Revault d’Allonnes atteint pleinement son objectif. Il ne faut guère de temps pour que les peuples se lassent de la démocratie après s’être battus pour l’obtenir : désaffection lors des élections, sentiment d’avoir été trompé, impression que tous les élus sont pourris…

L’auteur nous propose une explication des plus pertinentes à ce mécanisme récurrent. Tout pouvoir autocratique ou totalitaire prétend incarner l’unité, apporter l’harmonie et l’homogénéité, débarrasser la société de la division et imposer la transparence. Il répond en cela au désir de sécurité qui supplante celui de liberté, la servitude volontaire remplaçant l’aspiration à l’émancipation. Le totalitarisme commence avec la volonté de tout contrôler et tout unifier, en éliminant toute forme d’indétermination et de problématique. Rien de tel avec la démocratie qui, ne pouvant apporter aucune garantie transcendantale, est en permanence traversée par la question de la légitimité. Les hommes politiques qui l’animent ne brillent pas par leur exceptionnalité mais par leur ressemblance avec l’électeur, ayant la même vulnérabilité que lui.

Un tel régime ne peut qu’entraîner la désillusion et la critique, car étant dans l’impossibilité de maîtriser l’immaîtrisable, il provoque la dissolution des repères et des certitudes. Il n’existe pas de lois qui puissent se fixer éternellement dont les fondements ne seraient jamais remis en question et les énoncés toujours incontestables. L’efficacité symbolique de la démocratie ne peut donc que s’en trouver minée. Une société ouverte, qui avoue son incomplétude, qui assume son inachèvement et sa fragilité, est à la fois source de vitalité pour les relations sociales, mais aussi génératrice de profondes angoisses quand elle produit le sentiment d’une existence dangereuse, car toujours menacée. La démocratie, parce qu’elle est la forme politique des promesses intenables, ne peut donc qu’être décevante.

L’évolution contemporaine plaçant le marché et la compétition au cœur de toutes les relations humaines n’a fait qu’aggraver cette méfiance récurrente. Le sujet pluriel, divisé, problématique, ingouvernable qui en était jusque-là le citoyen de base est en train de se muer en cet homo œconomicus entrepreneur de lui-même, performant, délivré de ses contradictions et de ses troubles intérieurs, acteur rationnel, en capacité de faire abstraction de toutes circonstances et contingences, qu’elles soient individuelles ou collectives. Cette mutation est en contradiction avec la dynamique conflictuelle d’une démocratie dont on ne peut attendre qu’elle nous délivre ni du trouble de vivre, ni de la peine de penser.


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