N° 1332 | Le 31 janvier 2023 | Critiques de livres (accès libre)

Pour un travail social indiscipliné

Jean-Louis Laville et Anne Salmon


Éd. Érès, 2022, (219 p. - 14,50 €) | Commander ce livre

Thèmes : Travail social, Sciences humaines

Changer de modèle

Un paradigme a longtemps voulu que le travail social s’inspire de la rationalité, de l’objectivation, de la distanciation et de la rupture épistémologique avec le sens commun propres aux sciences humaines. Puis est survenu un second paradigme axé sur une technicisation massive associée à des procédures normalisatrices et uniformisantes. L’usager devenait un client à satisfaire, le professionnel un prestataire de services et les établissements sociaux et médico-sociaux des concurrents devant se montrer performants dans leur réponse à des appels d’offres. La réalité quotidienne du travail social est éloignée tant de l’invariant théorique, de l’intelligibilité des causes profondes inaccessibles au monde profane et du vrai savoir, que d’une doctrine managériale qui privilégie la formalisation, les outils de gestion utilitaires et les techniques d’évaluation. Parce qu’elle est agitée de changements qui rendent les pistes suivies muables et périssables. Parce qu’elle doit être repensée et réévaluée en permanence, au gré des situations imprévues, des contradictions surprenantes et des dérivations improbables. Parce qu’elle doit renoncer aux principes rangés dans la case des certitudes acquises, au prêt-à-penser et aux dogmatismes qui s’accrochent à des lois fixes et définitives. Choisir cette indiscipline que proposent les auteurs, c’est chahuter tant les crédos sédimentés du savoir théorique que les méthodes ordonnées par les institutions commanditaires. C’est s’engager avec des publics en difficulté non avec l’objectif d’agir sur eux ou pour eux, mais avec eux. C’est remplacer le cloisonnement par la pluralité ; accepter d’arriver à un résultat, alors qu’on en attendait un autre ; réhabiliter l’expérience et les émotions comme sources de savoir. Ce mouvement marque l’émergence d’un troisième paradigme changeant la perception de l’usager qui ne doit plus être réduit ni à un objet irresponsable, impuissant passif de l’intervention, ni à un consommateur à la demande duquel il faut répondre. À sa participation formaliste, cosmétique et superficielle, le travail social doit opposer un expérimentalisme démocratique susceptible de stimuler le pouvoir d’agir des usagers. Ne pas céder aux injonctions et travailler aux frontières de l’institué mène à une co-construction de l’action sociale par l’activation d’une intelligence collective et le croisement des savoirs.

Jacques trémintin


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