Pécule jeunes majeurs : toujours si peu d’égard envers les sortants de l’ASE

C’est la tâche qui fait honte à la protection de l’enfance en France : l’accompagnement des jeunes majeurs, déjà moribonds dans de nombreux départements, ne fait la une que lorsqu’il est question d’argent. L’examen au Sénat du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS 2018) en donne la mesure.

La sénatrice UDI Elisabeth Doineau a suscité un tollé en déposant un amendement visant à supprimer le pécule des jeunes majeurs instauré par la loi du 14 mars 2016 sur la protection de l’enfance. Celle-ci permet de verser l’allocation de rentrée scolaire (ARS) de l’enfant placé sur un compte bloqué, afin de lui constituer un pécule dont il peut bénéficier à sa majorité.

Une solution de fortune

L’amendement de la sénatrice vise à réaffecter cette ARS au service de l’Aide sociale à l’enfance qui accompagne l’enfant, autrement dit, au département. Car Elisabeth Doineau estime qu’il s’agit bien d’un détournement de l’ARS, qui pose « un réel problème d’égalité de traitement » entre les enfants placés, n’étant pas tous concernés par la constitution de ce pécule. Elle évoque une « solution bricolée lors de la loi de 2016 ».

Laurence Rossignol, ancienne ministre de l’Enfance à l’origine de la loi du 14 mars 2016, ne cache pas avoir trouvé cette solution « de fortune » afin que les jeunes majeurs puissent sortir de l’ASE avec une petite somme, sans aucun surcoût pour l’Etat, à l’heure où les contrats jeunes majeurs s’amenuisent.

Effets pervers

Le Carrefour national des délégués aux prestations familiales (CNDPF), qui représente les services associatifs exécutant les mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial, avaient aussi critiqué cette mesure dans Lien social, craignant qu’elle ne produise des effets pervers, comme le désinvestissement parental des parents dont l’un ou les enfants sont placés.

Ces derniers ont vite réagi : une pétition recueillant plus de 8 000 signatures à ce jour a été lancée par Magali Panova et Lyes Louffok, anciens enfants placés, soutenus notamment par le Carrefour national de l’action éducative en milieu ouvert (CNAEMO). « Sortis du cadre de l’Aide Sociale à l’Enfance, nous sommes pourtant privés de tout : famille, soutien, logement, diplômes. Et c’est avec ce rien que nous risquons de rejoindre les rangs de la misère : déjà 40% des jeunes SDF sont passés par l’ASE » rappellent-ils.

Le devoir de l’État

Le Conseil national de la protection de l’enfance a par ailleurs demandé hier le maintien du pécule, « malgré la complexité et les limites de cette mesure et l’impérieuse nécessité d’aller au-delà ». Car c’est bien le cœur du problème : pour cause de finances publiques en berne, de nombreux départements cherchent à se désengager de tout accompagnement, pas seulement financier, de ces jeunes… pourtant parmi les plus fragiles de notre société.