N° 1290 | Le 2 mars 2021 | Par Denis Decourchelle, Anthropologue, formateur | Espace du lecteur (accès libre)
Dans leur « Instruction sur la manière de gouverner les Insensés, et de travailler à leur guérison dans les Asyles qui leur sont destinés » de 1785, Jean Colombier et François Doublet, les auteurs, font cette remarque si actuelle : « Le sentiment dont on est pénétré pour les Insensés est d’un genre différent ; s’ils excitent une pitié plus profonde par l’image de la misère affreuse dont ils sont accablés, et par l’idée du sort qui leur est préparé, on est, pour ainsi dire, porté à les fuir pour éviter le spectacle déchirant des marques hideuses qu’ils portent sur leur figure et sur leur corps, de l’oubli de leur raison ; et d’ailleurs, la crainte de leurs violences éloigne d’eux tous ceux qui ne sont pas obligés de les contenir. Ainsi cette classe de malheureux, quoiqu’on la plaigne et qu’on ait un désir bien vif de lui tendre une main secourable, est néanmoins soignée avec beaucoup moins de zèle que l’autre, et c’est pour cette raison qu’elle exige spécialement l’attention et la surveillance du Gouvernement. »
Je souhaiterais simplement témoigner ici d’un accompagnement en supervision de professionnels d’un Foyer d’accueil médicalisé que j’ai effectué durant trois années et auquel j’ai mis fin, tant je trouvais ma présence presque indécente, eu égard à la situation. Restituer aussi le contexte de leur activité, en rappelant leur importance. D’autres que moi pourront documenter objectivement l’état de pénurie qui va grandissant dans le social et médico-social en France, malgré les promesses faites.
Ce que je souhaite souligner c’est, au final, la mission qu’une société délègue à certaines personnes pour s’occuper de ceux qui, depuis la fin du 18° siècle et l’apparition des institutions d’État, sont désignés sous toutes sortes de termes : furieux, mélancoliques, crétins, délirants, psychotiques, schizophrènes, porteurs du TSA selon les époques et les enjeux internes de la psychiatrie.
Que dire, que ces professionnels portent chaque jour de l’attention à autrui, à ces changements d’humeurs qui tournent de l’angoisse à l’hilarité, à ses signes, difficilement discernables chez ceux qui n’ont pas le langage, qu’ils régulent des contagions de tensions ou d’agressivité parfois induites par la promiscuité, une sexualité quelque peu manifeste, qu’ils organisent au mieux des sorties hors de l’établissement et des activités d’apprentissage dans les locaux. Toutes choses qui supposent une disponibilité, une bienveillance et une vigilance aussi hors du commun et dont ils s’étonnent qu’on leur en fasse la remarque.
Mais voilà que la logique libérale vient attaquer ces microclimats, sous le prétexte de « réduire les coûts ». De moins en moins de temps de psychiatre et de psychologue, des économies sur le prix des repas et des fournitures et, plus gravement, un refus d’accorder les moyens nécessaires au suivi des résidents, d’où une moyenne de deux à trois salariés pour 8 ou 9 résidents dans les services où j’intervenais.
Quoiqu’il en soit, merci à ces professionnels pour ce qu’ils m’ont faire connaître d’une certaine humanité, celle des résidents et aussi la leur.
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(1) Gallica