N° 900 | Le 9 octobre 2008 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Masculin/Féminin 2. Dissoudre la hiérarchie

Françoise Héritier


éd. Odile Jacob, 2008 (441 p. ; 20,90 €) | Commander ce livre

Thème : Inégalités

Comment expliquer l’affectation des femmes à des tâches répétitives d’entretien, le devoir qui leur est fait de se soumettre et d’obéir aux mâles, leur mise à l’écart des zones du savoir et du pouvoir, la négation de leur statut de personne apte à décider de leur sort et d’œuvrer pour le bien commun, le rapport homme/femme construit sur le même modèle que le rapport parent/enfant, aîné/cadet, antérieur/postérieur ? L’asymétrie fonctionnelle physiologique entre les sexes n’a aucune raison de déterminer automatiquement une asymétrie absolue des responsabilités et des engagements. On a certes pu évoquer la fragilité constitutive ou l’essence inférieure des femmes. Mais, une telle faiblesse, si elle existait vraiment, aurait appelé plus de protection que de force et de contrainte. Les croyances qui fondent les comportements discriminatoires de la part des hommes font bien plus penser à de la peur et de la défiance.

L’explication proposée par Françoise Héritier répond volontiers à ce mystère. Les hommes ne peuvent se reproduire par eux-mêmes et doivent passer par les femmes, pour faire des enfants en général et des fils, en particulier. Ils doivent donc à la fois s’approprier le corps féminin et tenter de le contenir dans sa fonction reproductrice. La domination n’a rien à voir avec l’anatomie différente et des manières de penser ou d’agir qui seraient distinctes. Ce n’est pas tant le sexe masculin qui explique la sujétion, mais bien la capacité de fécondité et la mise au monde d’un garçon. Les hommes échangent, entre eux, le corps de leurs filles et de leurs sœurs qu’ils prétendent posséder. Entre d’autres mains, elles deviennent des épouses fécondes, silencieuses, prudes, chastes, honorables et faiseuses de fils. Et tout corps de femme qui n’est pas approprié, gardé et défendu par un propriétaire, appartient potentiellement à tout homme dont la pulsion sexuelle est à assouvir.

Dans de nombreuses sociétés, le genre féminin est corrélé à la maternité. Chez les Nuer (Soudan, Égypte), une femme stérile bénéficie du même statut que l’homme, et, comme lui, peut hériter, se marier et avoir des enfants, sa « femme » étant fécondée par l’entremise d’un domestique. Partout ailleurs, la ménopause modifie bien souvent le regard posé sur les femmes. Françoise Héritier considère la contraception comme un levier pour faire avancer l’émancipation des femmes, à condition de la voir s’appliquer dans les immenses régions qui ne veulent pas en entendre parler. Mais, le système de dénigrement et de dévalorisation féminin se transmet aussi par l’éducation, le langage et les usages ordinaires de la violence et des images. D’où les deux bastions qui restent à conquérir : celui des esprits (hommes et femmes confondus) et celui de la sphère domestique où la division sexuelle du travail est encore largement discriminatoire.


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