N° 630 | Le 18 juillet 2002 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Malheur aux vaincus - Ah, si les riches pouvaient rester entre riches...

Philippe Labarde & Bernard Maris


éd. Albin Michel, 2002, (180 p. ; 14,90 €) | Commander ce livre

Thème : Économie

L’OCDE a pu calculer la croissance du monde depuis 1820. À l’exception des périodes de guerres mondiales, cette croissance a progressé de façon ininterrompue de 1,17 % par an. Depuis 1973, ce n’est plus vrai. Les 144 pays les plus pauvres (qui représentent 28 % du PIB mondial), ont vu le revenu moyen par tête baisser de 0,80 % par an. Cette situation concerne aussi les pays riches. Aux USA, entre 1973 et 1995, le salaire horaire du travail non cadre a baissé de 14 % alors que dans le même temps le PIB par habitant s’est accru de 36 %. La France a connu au cours du XXe siècle une authentique régression des inégalités : les deux mille foyers les plus riches disposaient d’un revenu 300 fois plus élevé que la moyenne en 1900 et 50 à 60 fois en 2000. C’est le laminage des fortunes dû aux deux guerres et à la forte progressivité de l’impôt qui a permis ce rééquilibrage, favorisant ainsi, au cours de cette période, la multiplication par cinq du pouvoir d’achat des salariés.

La politique sociale a permis à notre pays de limiter la grande pauvreté. Si 32 % de la population vit aux USA en dessous du seuil de pauvreté, 14 % des ménages sont dans cette situation dans notre pays, avant redistribution et 7 % après. Mais la vague d’inégalitarisme a fini par gagner aussi l’hexagone : si de 1970 à 1990, seules les ressources des plus pauvres ont augmenté d’environ 0,3 % par an, entre 1990 et 1996, celles-ci ont chuté de 20 %. Le nivellement des conditions de vie est aujourd’hui remis en cause par les thuriféraires du marché qui opposent le salarié blotti contre un Etat-providence qui constituerait un frein à l’initiative et à la croissance avec les nouveaux héros qui osent affronter le risque. Leur goût du risque se mesure notamment à la prise en charge des effets destructeurs de leur activité : explosion d’AZF, pollution de l’Erika, ou catastrophe de l’amiante.

Cette maladie professionnelle n’inquiétera plus les entreprises coupables (2 000 plaintes déjà déposées) depuis qu’un dispositif permet de faire indemniser les victimes par la solidarité nationale (sous la forme d’une surprime perçue au moment de la signature de tout contrat d’assurance). Et puis, qui dira que les entreprises ne contribuent pas à l’intérêt collectif depuis que Philip Morris a publié des pleines pages de publicité, pour essayer de convaincre l’État tchèque de renoncer à ses projets de taxe sur le tabac. C’est vrai que grâce au cancer du fumeur, la collectivité allait économiser en frais de santé, de retraite et de logement social, près de 17,4 millions d’euros ! « Le marché déshumanise l’humanité, en imposant aux hommes d’être isolés et de vendre ou d’acheter tout ce qui pourrait les lier aux autres » (p.169), proclament les auteurs, dans un essai au vitriol. Et de réclamer haut et fort de subordonner la règle marchande aux règles politique, écologique, sociale et culturelle.


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