N° 1288 | Le 2 février 2021 | Par Angèle David, éducatrice | Espace du lecteur (accès libre)

Lettre ouverte d’une travailleuse sociale

Thèmes : Assistante sociale, Usure professionnelle

Aujourd’hui, je suis inquiète. Inquiète pour l’avenir des salariés de cette association spécialisée dans l’accompagnement des personnes en situation de handicap mais PLUS LARGEMENT, je suis inquiète pour le secteur du médico-social.
Quand on est travailleur social (éducateur, psychologue, assistante sociale) ou paramédical (orthophoniste, psychomotricien, kinésithérapeute), on ne ferme pas les portes de notre établissement à 18h en pensant à ce que nous allons faire dans les prochaines heures ! NON !
On pense à cet enfant dont le comportement nous a interpellés, à cette transmission que nous n’avons pas eu le temps d’écrire, à cet usager qui a fait un bond en avant, à ce parent qui vit difficilement ce que les regards extérieurs lui renvoient, à cet adulte en situation de handicap qui ne trouve pas de stage pro, à ce collègue qui semble épuisé par l’accumulation de ses prises en charge, à ce manager qui nous paraît sous pression, à cette petite victoire d’un enfant réellement inclus dans sa classe grâce à cette alliance parents/professionnels/ enseignants, à ce chef d’entreprise qui attend l’éducateur afin d’accueillir cet adulte dans les meilleures conditions, à ce partenaire qui attend notre appel car il ne sait plus comment réagir avec ce jeune… et à ce même jeune dont le mot inclusion est synonyme de solitude et qui le traduit comme il le peut : les mots lui manquent mais ses maux le submergent …
Mais ce jour-là, UN jour différent des autres, l’accompagnant devient l’accompagné : un mal de dos qui persiste, un infarctus, un burn-out … Pour lui, l’heure a sonné de quitter le médico-social. Turn-over, mutation dans d’autres services, reconversion professionnelle, arrêt maladie de longue durée, tout cela aurait pu être évité ! Ce sont des fractures pour les professionnels, mais aussi pour le public accompagné et leurs familles.

Ce récit n’est pas factice, il est NOTRE réalité de terrain, il est le témoignage des maux de nos institutions. Même si, en parallèle, c’est aussi cette dimension humaine qui porte les professionnels du médico-social à s’engager, à tenir, à se battre et à accompagner dignement les personnes.
Néanmoins, ce que l’on demande aujourd’hui : c’est un cadre de travail qui permette aux salariés de mener à bien et jusqu’au bout leur carrière professionnelle ! Pour cela, dans notre quotidien, nous avons besoin d’espace de paroles et de réflexion pour ajuster nos pratiques, en fonction des besoins des usagers. Et cela ne peut s’effectuer sans de réels temps pour assurer la coupure entre notre vie professionnelle et notre vie privée. Cette coupure est INDISPENSABLE pour assurer une prise de recul suffisante sur ce que nous vivons et essentielle à un accompagnement de qualité. Nous remettons alors en cause la disponibilité et la mobilité à toute épreuve qu’on veut nous imposer… Nous nous battrons pour garder les portes de cette société, pas toujours inclusive, OUVERTES, aux personnes que nous accueillons ! Mais nous avons BESOIN que nos dirigeants se battent pour conserver un cadre de travail humain, sécurisant, bienveillant et PROCHE de notre réalité de terrain.
Préservons la richesse de nos métiers du médico-social, préservons nos institutions qui n’existent quasiment nulle part ailleurs dans le monde !
Nous restons confiants sur les qualités de l’humain à réajuster, construire et réfléchir ensemble. Nous ne voulons pas du face-à-face. Nous voulons travailler main dans la main.
Financeurs, dirigeants, politiciens, usagers, familles, professionnels de terrain et partenaires : une SEULE et MÊME alliance. On a envie de L’ESPÉRER, on a envie de le PENSER, on envie de le CONCRÉTISER : à chacun de faire un pas de côté, pour avancer ensemble.