N° 1333 | Le 14 février 2023 | Critiques de livres (accès libre)

Les pairs à l’adolescence

Évelyne Barthou (sous la direction de)


Éd. Hermann, 2021, (221 p. – 23 €) | Commander ce livre

Thèmes : Adolescence, Jeunesse

Le monde des potes

Quiconque a côtoyé un adolescent connaît l’importance et la force du groupe de pairs, dans la sociabilité, la construction de soi et le bien-être juvéniles, pourtant jusque-là bien peu étudiés. Ce livre vient combler ce manque. Si les relations horizontales ne prennent pas la plupart du temps le dessus sur celles plus traditionnelles qui se structurent à la verticale (la famille, l’école, les instances sportives ou culturelles…), c’est parce qu’elles s’articulent plus qu’elles ne se concurrencent. Les pairs ne se substituent pas aux pères, mais constituent un espace parallèle d’affirmation de soi, de singularisation et d’autonomisation. Ce monde prescripteur des façons de se vêtir, des choix musicaux ou des engagements n’implique pas une désaffiliation, mais plutôt une mise à distance de l’enfance vécue jusque-là. Plusieurs attitudes normalisatrices spécifiques du groupe de pairs sont illustrées ici. À l’image d’une consommation alimentaire renonçant au lait trop souvent associé à une régression et privilégiant la ritualisation du «  manger en ville  ». Les choix des adolescents sont trop souvent assimilés à la malbouffe, alors qu’ils servent avant tout de marqueurs permettant de s’écarter du lien familial nourricier. Loin de renier une cuisine parentale qui reste une référence, l’adhésion à des pratiques nouvelles leur permet surtout de se distinguer de la conformité adulte. C’est bien cette échappatoire que recherche aussi la bande de rue qui, pour présenter une grande visibilité, n’en recherche pas moins et avant tout une dynamique de l’entre-soi qui s’affranchit de la surveillance adulte. Voilà qui a suscité bien des fantasmes, alors que seuls 10  % des moins de 35 ans sont vraiment concernés, l’immense majorité ne faisant que traverser l’espace public, sans jamais s’y arrêter. Le paradigme faisant la promotion de l’expertise des pairs, que ce soit dans les problématiques de toxicomanie ou de maladie mentale, s’est aussi intéressé aux pairs éducateurs adolescents : faire porter des messages de prévention en santé par des jeunes plutôt que par des adultes. Les expérimentations menées ont montré qu’outre le risque de transférer sur les plus jeunes une responsabilité qu’ils n’ont pas à assumer, la pratique de la fonction de mentorat peut les changer en «  Pair-oquet  ». D’autant que le bénéfice induit profite plus à ceux qui endossent ce rôle qu’au public cible.

Jacques Trémintin


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