N° 707 | Le 29 avril 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
On savait déjà que parmi les fées qui s’étaient penchées sur le berceau de la profession d’éducateur spécialisé, il y avait eu le sinistre « État français » de la période vichyssoise. Ce troublant parrainage a aussi concerné les assistantes sociales. Bien sûr, ces dernières avaient fait l’objet d’une reconnaissance officielle bien antérieure, puisque la création de leur diplôme d’État date de 1932. Combat de longue haleine, tant leur professionnalisation se heurtera longtemps au présupposé qu’il s’agissait là, plus d’une vocation et d’un engagement que d’un métier à part entière. Pourtant, le régime de Pétain va donner une ampleur inégalée à l’organisation de la profession. C’est ce que nous montre Cyril Le Tallec dans une monographie très précise et très détaillée.
Les assistantes sociales jouent un rôle central dans l’organisation de l’évacuation de Paris en septembre 1939 : cent trains par jour pendant une semaine permettant à 500 000 personnes de gagner la province. Conscient de leur efficacité, mais aussi de l’intérêt que leur proximité avec la population peut avoir en terme de contrôle administratif et policier, Pétain regroupe six mille d’entre elles (sur neuf mille en activité) au sein du Secours national. Nombre de professionnelles se laissent enrégimenter, mais bien d’autres s’inscrivent dans une authentique résistance, cachant des enfants juifs, logeant des prisonniers évadés et organisant les passages en zone libre.
En 1942, l’inspectrice principale du Secours national donnera sa démission pour protester contre la violation répétée du secret professionnel, suivie en cela par nombre de cadres. C’est encore le régime de Vichy qui contribue à créer et à développer les services sociaux dans toutes les sphères de la société : milieu rural, monde du travail, hôpital, armées de terre, de l’air et marine nationale, Sncf, prisons, police, protection de l’enfance, délinquance… Les armées de la France libre ne seront pas en reste, puisqu’elles organiseront, elles aussi, dès le 8 août 1941 leurs propres services sociaux. En 1942, le préfet de la Seine adopte un schéma d’organisation qui sera repris et étendu à l’ensemble du pays en 1950. Dès 1922 deux regroupements professionnels se créent qui vont se faire concurrence tout au long des années : l’Association des travailleuses sociales (qui regroupe mille adhérentes en 1938) et l’Union catholique des services de santé et des services sociaux.
Conformément à la charte du travail édictée par Vichy, la profession est invitée à se regrouper. En 1943, se constitue un comité d’entente et de liaison entre les deux associations, avec comme perspective une Union à échéance… du mois d’août 1944 ! Finalement, le tournant de la guerre en décidera autrement. Mais le mouvement était lancé et aboutira en décembre 1944 à la création de l’ANAS et à la loi du 8 avril 1946 qui donnera à la profession son visage actuel.
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