N° 931 | Le 4 juin 2009 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
Dans un style précis et lumineux, Gérard Neyrand nous dresse ici un tableau détaillé de la famille contemporaine. Le couple, commence-t-il par nous expliquer, a constitué pendant longtemps le chaînon manquant entre deux lignages. Sa fonction moderne a diamétralement évolué : elle s’est transformée en une articulation qui organise les rapports entre deux individualités autonomisées. Mais l’émergence de ce couple à double carrière professionnelle, égalitariste et autorégulée ne peut que confronter chacun de ses membres à une épreuve narcissique qui peut s’avérer insupportable et provoquer la vulnérabilité et la précarisation de la relation. C’est que la réalisation de soi étant devenue un objectif social généralisé, le couple est convoqué dans sa capacité à incarner pour chacun la base sécurisante de son affirmation personnelle. Il s’agit de rester libre… ensemble.
Pour autant, cette référence ne s’est pas mécaniquement substituée aux autres. Elles se sont même superposées et sédimentées les unes à côté des autres. On retrouve encore le prototype théocratique qui remonte à la conception d’un homme et d’un père tenant leur autorité sur leur femme et leurs enfants de la puissance divine (l’autorité parentale n’a remplacé la puissance paternelle dans notre pays qu’en 1970). Comme il est encore fréquent d’essentialiser et de naturaliser les rôles attribués aux père et mère. Alors que la paternité et la maternité constituent un processus psychique dynamique qui relève du culturel et non de la nature.
Certains s’attachent pourtant encore à cette définition traditionnelle des rôles : c’est une manière de freiner l’effritement de la suprématie de la virilité sur la sensibilité et de la force physique sur l’affectif. La crise de la masculinité provient en partie de cette multiplication des façons de “faire famille”. La prévalence de la dyade mère/enfant a cédé le pas sur la prise de conscience de l’importance, dès la naissance, de la triade incluant le père. Séparer l’enfant d’une de ses principales figures d’attachement apparaît inadéquat au regard de son intérêt. Certains choisissent d’indifférencier les rôles parentaux. D’autres font le choix de les inverser.
Mais le plus souvent, chacun s’attache à adopter une place asymétrique, sans que le lien entre les pratiques et le sexe puisse s’établir. Cette diversification semble inéluctable tant la fonctionnalisation des rôles parentaux entre en contradiction avec le modèle laïque et démocratique de régulation des relations privées : c’est dorénavant le consentement à l’acte qui est le critère majeur de la partition entre le permis et l’interdit. Le dialogue est devenu une condition d’existence tant pour un couple que pour une famille se construisant dans une logique d’égalisation de chacun propulsé en tant que sujet.
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Critiques de livres
Sous la direction de Geneviève Bergonnier Dupuy