N° 714 | Le 24 juin 2004 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Le corps adolescent

Annie Birraux


éd. Bayard, 2004 (173 p. ; 19,50 €) | Commander ce livre

Thème : Adolescence

La modernité a été marquée par la levée des tabous sur la sexualité, l’allégement des contraintes sociales, la disparition des pressions morales et religieuses, ainsi que par l’évanouissement de la tradition. La conséquence la plus spectaculaire de ces évolutions majeures s’est manifestée du côté du corps qui s’est émancipé et a été investi comme jamais il ne l’avait été jusqu’alors. Mais le souci généralisé d’esthétisation qui s’en est suivi, est devenu culte de l’illusion, au point de faire de l’apparence extérieure l’unique horizon objectal de la personne. L’exaltation de la forme a tellement pris le pas sur les contenus que la valeur de l’individu en est venue à se mesurer à l’aune de la marque du vêtement qu’il porte. C’est sans doute pour cela que, par réaction, le corps a concentré tous les conflits et tiraillements entre les forces propres aux pulsions et les exigences de l’environnement. L’usage qu’on en fait, son traitement ou son marquage sont devenus les manifestations symptomatiques de la difficulté à être. C’est encore plus vrai pour les adolescents qui y ont trouvé une forme privilégiée d’expression des problèmes qu’ils rencontrent pour grandir, vivre et entrer dans le lien social.

La puberté fait exploser les constructions identitaires dont la cohésion était jusqu’alors assurée par le ciment des images parentales et par l’investissement dont elles faisaient l’objet. Cette période de vulnérabilité extrême est l’occasion d’effondrements, de ré-élaborations et de révélations insoupçonnables. Ce qui se joue c’est le difficile commerce avec les attributs du statut adulte à l’intersection entre le masochisme de la soumission au désir de l’autre et la revendication narcissique. Et le corps est tout particulièrement utilisé comme support privilégié d’une vie psychique qui vient remplacer par des signaux extérieurs ce qui ne peut ni se dire, ni s’entendre. Une teinture fluo sur des cheveux en bataille, des narines encombrées d’anneaux ou d’épingles, des oreilles tintinnabulantes, des peaux meurtries, suintantes ou marquées par des tatouages indélébiles ne peuvent être assimilées à de simples rites initiatiques. Ce marquage est la marque de la fragilité du sentiment d’existence et d’un malaise interne.

C’est là la démonstration que la sensorialité n’a pas trouvé les voies d’expression judicieuses qui autorisent l’appropriation de ce qui est ressenti. L’insécurité narcissique ainsi créée conduit à chercher des sensations venant supplanter le manque. Le corps n’a pas envie de gémir ni de se laisser aller à des expressions craintives : il préfère « acter » sur la peau les indices de son mal-être. La transformation, depuis une cinquantaine d’années, de la psychopathologie de l’adolescence, avec la multiplication des troubles mettant en cause la constitution de l’image et de l’estime de soi, la construction du sentiment de continuité et d’existence semble démontrer les troubles liés au statut actuel du corps.


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