N° 820 | Le 7 décembre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La psychologisation de l’intervention sociale : mythes et réalités

Sous la direction de Maryse Bresson


éd. L’Harmattan, 2006 (268 p. ; 24 €) | Commander ce livre

Thème : Psychologie

C’est un leitmotiv depuis quelques années : le social serait en voie de psychologisation. De plus en plus, on relierait l’origine des déficiences à l’incapacité des individus à construire un lien social durable et à satisfaire aux rites d’initiation et d’intégration. Ce qui compterait, ce serait les propriétés individuelles mises en œuvre pour apprendre les bons comportements propres à éviter de souffrir. Si chacun est désormais responsable de son propre parcours, il conviendrait donc, non de transformer les conditions économiques et sociales d’existence, mais d’activer les ressources individuelles et les connexions de chacun. L’intervention sociale se tournerait vers l’individualisation et la personnalisation : le travail sur soi.

L’ouvrage coordonné par Maryse Bresson se propose de faire le point sur cette accusation. Au crédit de cette hypothèse, la description d’un mode moderne qui incite chaque individu à correspondre aux exigences de motivation, de subjectivation et de choix rationnel. C’est cette personnification des relations sociales qui tend à minorer les facteurs collectifs. C’est aussi elle qui a profondément transformé les politiques sociales, comme le montre l’émergence du concept de coaching qui se fonde sur la défaillance et le déséquilibre individuel qu’il se propose de rectifier. Il n’est pas anodin que seuls 7 % des nombreux nouveaux psychologues travaillent dans la santé et le social, alors que 90 % se consacrent à l’insertion ou aux ressources humaines. Quant aux professionnels du social, confrontés à l’impuissance d’agir sur les causes (la problématique sociale et économique), il ne leur reste plus qu’à tenter de peser sur les effets (les qualités et défauts des personnes impliquées).

À l’inverse de la thèse d’une psychologisation, on trouve le constat que le poids de la psychiatrie n’a rien de contemporain. On le retrouve dans la gestion du vagabondage dès le XIXe siècle et dans la formation des travailleurs sociaux, confiée dans l’entre-deux guerres aux pédopsychiatres (avec notamment le fameux case-work des assistants sociaux). La tendance forte de ces dernières années serait plutôt du côté de la place donnée au droit et à la gestion bien plus qu’à la psychologie, comme le montrent les programmes de la formation d’AS réformée en 2004. On n’assiste donc pas à une psychologisation qui pervertirait l’intervention sociale, mais à une psychologie sollicitée pour répondre aux nouveaux besoins d’un public en prise avec la montée des problèmes psychiques.

Au final, la compréhension d’une problématique nécessite de maintenir l’équilibre entre causes collectives et responsabilité individuelle et de tenir les deux bouts de la chaîne éducative en intégrant à la fois les déterminismes économiques et sociaux et les implications psychiques individuelles. La façon dont la souffrance est ressentie et exprimée est sujette aux variations du temps, du milieu où elle s’exprime, mais aussi du vécu, de la personnalité et du cheminement de la personne qui la vit.


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