N° 650 | Le 23 janvier 2003 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

La psychanalyse de la connaissance

Lucien Bonnafé


éd. érès, 2002 (184 p. ; 22 €) | Commander ce livre

Thème : Psychanalyse

À 90 ans, le psychiatre rebelle publie aux éditions érès un ouvrage intitulé La psychanalyse de la connaissance. L’événement est l’occasion de rappeler celui qui, résistant dans les années 40 et militant des droits de l’homme depuis toujours, a consacré sa vie à faire « bouger l’institution psychiatrique », et n’a cessé de faire de la lutte contre l’anti-humanisme une morale pour le temps présent.

S’il est aisé de suivre la pensée de Bonnafé il est en revanche plus difficile de la lire à travers ses écrits toujours « brouillonnants », c’est-à-dire maintenus volontairement dans une langue brute et foisonnante à la fois. Sa plume alerte saute de mot en mot et d’idée en idée sans suivre les règles de la grammaire et de la syntaxe, se moquant encore et toujours de ce qui, loin de contribuer à forger du sens, travaille surtout à l’exclusion de ceux qui ne maîtrisent pas la langue des dominants, pour reprendre le vocabulaire de Pierre Bourdieu engagé lui aussi dans ce même combat contre l’aliénation des individus. Ainsi, tandis que le style de Bonnafé signe le lien toujours vivant avec le mouvement surréaliste, le titre, quant à lui, est la marque d’une filiation assumée à Gaston Bachelard, le philosophe auteur de La psychanalyse du feu.

L’objectif principal sinon unique de cet ultime ouvrage est de mettre en ?uvre une méthodologie de la connaissance qui soit capable de démasquer « le conservatisme empêcheur de dire imprégné par l’idéologie dominante » qui inspire trop souvent les ?uvres faisant pourtant « preuve apparente des meilleures intentions du monde ». Il y a dans ce dernier ouvrage mais comme une ouverture à tout ce qui a été écrit jusque-là une critique pointue du « conditionnement ordinaire des esprits qui réduit le sens de science à une vision fétichisée de l’état des connaissances acquises ? pour ouvrir à la vision de l’esprit scientifique, devant tout problème de connaissance, comme passion d’œuvrer dans le sens de l’exploration de l’inconnu et du manque à savoir, avec le goût de la découverte ».

Il y a dans la verve bonnaféenne des échos de l’humanisme des XVIe et XVIIIe siècle où il s’agit moins de fabriquer des têtes bien pleines que d’émanciper l’être de toutes les aliénations à l’obscurantisme et aux idées toutes faites. A bien des égards, cette critique du surationnalisme croise le chemin de cet autre grand éducateur qu’est Fernand Deligny. Ce dernier n’a cessé de s’emporter contre ceux qui prétendent pouvoir rendre raison de tout, de tout et de n’importe quoi, et surtout de tout à n’importe quel prix ; de s’opposer, depuis ses Cévennes et ultime lieu de résistance, à ceux qui prétendent pouvoir rééduquer l’autre, le remettre à la place où il faudrait qu’il soit, le rendre à nouveau utile à lui-même et à la société et rentabiliser ainsi l’argent investi dans le système éducatif.

Parce que toute l’œuvre de Bonnafé ne cesse de poser la question du sens ce qui nous fait porter de l’aide à un semblable, fut-il différent, il y a dans ce dernier ouvrage, non pas des leçons, mais des promesses pour les temps à venir. Pour peu que, comme lui, les hommes ne se contentent pas de prédire l’avenir mais s’efforcent de le travailler.


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