N° 1096 | Le 7 mars 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La dictature de l’urgence

Gilles Finchelstein


éd. Hachette Pluriel, 2013 (228 p. ; 8 €) | Commander ce livre

Thème : Sociologie

Notre société est prise dans la conjonction de deux cultes : la vitesse et l’instant. Gilles Finchelstein nous décrit les indices nombreux et concordants qui le démontrent.

Que ce soit l’information qui nous est délivrée d’une manière immédiate et en temps réel. Que ce soit les progrès des moyens de transport qui nous amène à mesurer les distances non plus en kilomètres mais en durée de trajet. Que ce soit les services d’urgence qui sont devenus la porte d’entrée de l’hôpital : dix-huit millions de patients y ont été admis en 2008, contre sept millions en 1990. Que ce soit le vote de lois en procédure d’urgence : entre 2007 et 2012, 65 % d’entre elles étaient concernées par ce régime, contre 30 % entre 1968 et 1981 et 10 % entre 1958 et 1968. Que ce soit la restauration rapide, la généralisation des congélateurs, des micro-ondes et des plats préparés démontrant que l’on prend de moins en moins de temps pour manger.

Que ce soit le débit moyen des chroniqueurs radio, aujourd’hui de 199 mots à la minute, contre 185 en 2000. Quant aux collections de prêt-à-porter, elles sont passées, pour certaines marques de vêtements, d’une à trois par saison… Comment expliquer cette mutation radicale de notre rapport au temps ? Par le passage, d’abord, d’un temps circulaire marqué par le cycle des saisons à un temps linéaire condamné à la spirale de l’accélération. Le rythme fulgurant de diffusion de la révolution numérique, ensuite : entre 1998 et 2009, le taux d’équipement en téléphone mobile, en ordinateur familial et en abonnement Internet est passé respectivement de 11 à 82 %, de 23 à 74 % et de 4 à 67 %. Il y a, aussi, cette déprise des religions et idéologies qui survalorisaient l’avenir, au profit d’une attention focalisée sur l’ici et le maintenant.

On peut encore y voir l’effet pervers d’une mondialisation libérale qui, privilégiant les objectifs à court terme, exige des résultats financiers non plus sur une année mais sur trois mois. Aucune de ces explications se suffisant à elle-même, c’est leur combinaison qui permet de comprendre ce que nous sommes en train de vivre. Les effets sur notre vie quotidienne sont certes d’abord positifs. Si tout, tout de suite, est propice à l’émancipation individuelle et à la recherche d’une vie pleinement assumée, les effets pervers sont tout autant présents. Une société sous tension, source de pessimisme et de dépression, et une politique délégitimée par l’illisibilité de ses résultats immédiats n’en sont pas les moindres signes.

Pour autant, la dictature de l’urgence n’est pas une fatalité. Y résister est possible. Gilles Finchelstein nous invite et nous incite à ralentir notre rythme de vie, à rallonger notre horizon temporel, à reculer les échéances que nous nous fixons et à créer des espaces et des moments de décélération.


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