N° 864 | Le 6 décembre 2007 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

La France invisible - Enquêtes sur un pays en état d’urgence sociale

Sous la direction de Stéphane Beaud, Joseph Confavreux & Jade Lindgaard


éd. La Découverte, 2006 (647 p. ; 26 €) | Commander ce livre

Thème : Organisation

Le refus de se montrer relève du droit inaliénable au secret sur sa vie privée et à une part d’ombre sur son intimité. Pour autant, un mécanisme d’invisibilité non choisie frappe toute une partie de notre société, avec pour corollaire, une absence de prise en compte ainsi qu’une surexposition tant à la violation des droits qu’à l’arbitraire des autorités. Tout se passe comme si une problématique sociale ne devient observable qu’à compter du moment où elle s’affiche sur un mode spectaculaire. Une multitude de réalités échappent ainsi à la connaissance tant des observateurs que des décideurs.

Le propos des auteurs est justement de leur donner la visibilité qu’elles méritent. Ainsi, de ces maladies professionnelles sous-évaluées tant par l’opinion publique que par les partenaires sociaux : les employeurs faisant tout pour en minimiser les conséquences sur leurs profits. Il en va de même pour les suicides, les maladies graves parfois mortelles, les dépressions, les problèmes conjugaux qui suivent les plans de licenciement, jamais comptabilisés dans les conséquences induites des restructurations économiques. Il est tout aussi rare de voir abordée la situation des jeunes ruraux isolés et éparpillés sur leur territoire dont la timidité sociale n’a d’égale que la virulence de l’expression du désarroi de leurs pairs des grands centres urbains.

Pas plus d’ailleurs que ces vacataires de la fonction publique qui représentent 16 % des salariés (contre 12 % dans le privé) et qui acceptent le plus souvent de subir passivement ce qu’ils ne toléreraient nulle part ailleurs. La rénovation urbaine est quant à elle l’occasion pour un certain nombre de municipalités de détruire massivement des logements sociaux, sans les reconstruire par ailleurs (en pleine contradiction avec la loi), en brutalisant au passage des personnes socialement vulnérables réduites à de simples variables d’ajustement des projets de réhabilitation. Si l’on parle souvent des bénéficiaires du RMI qui perçoivent cette allocation, sans forcément y avoir droit, on n’évoque jamais ceux qui n’en bénéficient pas alors qu’ils pourraient y prétendre. Combien de SDF n’existent plus pour la société : sans téléphone, sans adresse fixe, sans Sécurité sociale, sans loyer, sans compte en banque, sans carte d’électeur.

Toutes et tous et bien d’autres sont au centre d’un ouvrage qui privilégient les témoignages sans négliger pour autant l’analyse. Car reste à comprendre les raisons de cette invisibilisation. Alors que les classes populaires ont occupé le devant de la scène pendant de nombreuses années, elles en ont disparu, occultées par l’émergence d’une mythique classe moyenne. Il n’y aurait plus qu’un ensemble disparate d’individualités et d’agrégats conjoncturels. Délivré de la pression du groupe, chacun serait seul responsable de son destin et sommé de s’épanouir, de se réaliser et de s’adapter, tout échec relevant alors d’un problème personnel que seule la psychiatrie serait en mesure d’accompagner.


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