L’invisibilité des violences sexuelles sur mineurs

À l’automne 2017, des décisions de justice concernant des affaires de violences sexuelles sur mineurs ont choqué une opinion déjà en émoi par les phénomènes #Metoo et #Balancetonporc. Un groupe de travail au sein de la commission des lois du Sénat a donc été constitué pour proposer un état des lieux et des pistes de réflexion en vue d’une réforme législative. Après 400 auditions et 4 mois de diagnostic, une stratégie globale a été proposée pour « protéger les mineurs victimes d’infractions sexuelles » comme le titre le rapport d’information de la sénatrice Marie Mercier présenté le 7 février dernier.

Une réalité longtemps sous estimée

Les mineurs sont la classe d’âge la plus exposée aux violences sexuelles ; une réalité historiquement et sociologiquement ignorée à cause du tabou et de l’indicible de ces actes, ainsi qu’à une forme de tolérance voire d’indifférence de la société. Il faudra attendre 1989 et la loi « relative à la prévention des mauvais traitements à l’égard des mineurs et à la protection de l’enfance » pour que s’opère un tournant majeur.

Les chiffres parlent d’eux mêmes : plus de la moitié des actes de viol ou des tentatives de viol déclarés par les femmes surviennent avant 18 ans (avec un pic à l’adolescence), le taux passe à 75% concernant les hommes (avec un pic autour de l’âge de 6 ans).

Près de 8 800 plaintes ou signalements de mineurs ont été enregistrés par les services de police en 2017. La moitié des personnes condamnées pour viol sur mineurs sont également mineures, à 96% de sexe masculin.
Les chiffres en hausse concernant les viols sur mineurs (+7% en 2016 et +11% en 2017) ne révèlent pas une augmentation de ces infractions mais plutôt une meilleure dénonciation par les victimes.

Les violences sexuelles sont majoritairement commises par des personnes de l’entourage, dans un lieu privé et sont souvent répétées. Mais les violences sexuelles prennent aujourd’hui d’autres formes avec l’âge d’or d’Internet et des réseaux sociaux. La pédopornographie, les agressions sexuelles en direct et le cyber-proxénétisme se développent. Le visionnage de vidéos pornographiques avec violences sexuelles est en hausse et se banalise chez les adolescents.

Prévention, accompagnement et réponse pénale

Le rapport souligne les progrès en matière de lutte contre les violences sexuelles ces dernières années mais pointe des défaillances et invite à consolider la prévention et l’accompagnement des victimes dans tout le processus de la libération de la parole jusqu’à la résilience.

Sur le volet prévention : sur Internet, une sensibilisation des parents et des sites hébergeurs sur l’accès des mineurs aux sites pornographiques est préconisée.
L’éducation à la sexualité devrait être rendue obligatoire ainsi que la sensibilisation des enfants et des parents aux violences sexuelles et à l’interdit de l’inceste pour briser la loi du silence, pour que les uns parlent et les autres sachent écouter.

Côté prise en charge : nombre de victimes ont dénoncé des dépôts de plainte, des enquêtes et un procès traumatisants et maltraitants. La lenteur du processus et la qualification de certaines violences (les viols deviennent des agressions sexuelles par exemple) y participent.
La formation des professionnels, la mobilisation des institutions et un renforcement de moyens pour la justice permettraient de mieux répondre à la protection des mineurs.
Chaque victime devrait pouvoir être accompagnée par une association durant tout le processus et être orientée vers une démarche de justice restaurative en cas de relaxe ou d’acquittement de l’auteur.

Faire évoluer les mentalités

Dans le cadre répressif et concernant les viols, le rapport préconise d’« instaurer une présomption simple de contrainte fondée sur l’incapacité de discernement du mineur ou la différence d’âge entre le mineur et l’auteur » ce qui permettrait à des victimes de moins de 15 ans (âge du consentement sexuel) et de plus de 15 ans de bénéficier finalement du même statut de mineur dans une affaire de viol. L’âge de 15 ans vient d’être retenu par le gouvernement dans le cadre de son projet de loi contre les violences sexuelles comme le seuil de non-consentement.

Dans le cas des mineurs, l’absence de données statistiques suffisantes ne permet pas de prise de conscience collective. Il faut donc donner de la visibilité aux violences sexuelles et améliorer leur recensement. Le rapport insiste également sur la « dimension sociétale des violences sexuelles, qui naissent de représentations erronées concernant la sexualité, le consentement ou encore l’égalité entre les femmes et les hommes ». La prévention des comportements et l’éducation sont donc un enjeu crucial pour faire évoluer les mentalités.