N° 1292 | Le 30 mars 2021 | Par Mohamed Megdiche, éducateur spécialisé à Horizon 9 | Échos du terrain (accès libre)

L’impro, au service de l’éducation

Thèmes : Prévention spécialisée, Théâtre

On connaît ces enfants et ces jeunes de quartiers défavorisés formant un orchestre, avec chacun un instrument de musique différent. Formidable outil d’insertion et de socialisation repris par une équipe de prévention du département du Nord avec un autre support : le match d’impro.

L’association «  Horizon 9  » effectue, depuis 2009, des missions de prévention spécialisée du département du Nord sur Roubaix, Hem, Waterloo et Lys Lez Lannoy menées par une vingtaine d’éducateurs spécialisés auprès des 11 à 25 ans. Nous avons toujours travaillé au sein de trois collèges situés dans des quartiers prioritaires particulièrement concernés par le décrochage scolaire. Lucie Carette, une collègue intervenant au collège Théodor Monod de Roubaix, anime depuis quelques années déjà un atelier philo destiné à développer chez les ados leur esprit critique, leur capacité d’analyse et l’acceptation de la parole de l’autre. C’est elle qui m’a sollicité pour imaginer l’utilisation de l’outil du match d’improvisation. Il faut que je précise que si je suis éducateur spécialisé à Horizon 9, j’appartiens aussi depuis cinq ans à la troupe d’impro «  les zinc  » au sein de l’association Soul rire et pratique le coaching dans cette forme de théâtre un peu particulier qui nous vient du Québec. Ceux qui l’ont inventé regrettaient que le public soit plus assidu à se rendre aux matchs de Hockey, qu’à venir assister à une pièce théâtrale. C’est comme cela qu’ils ont eu l’idée d’utiliser les codes de ce sport en les détournant : des spectateurs regroupés autour d’un ring, avec deux équipes à qui on lance le défi d’improviser un scénario à partir d’un thème choisi au hasard. Chacune dispose de trente secondes pour imaginer un dialogue, sans connaître ce qu’a prévu son adversaire. Le vainqueur est désigné par le public qui vote pour l’une ou l’autre équipe. Ce support est à la fois très plaisant et très formateur pour un ado. Notre projet consistait à solliciter des élèves en difficulté, scolarisés du CM2 à la troisième et à leur proposer de s’engager sur un atelier d’impro sur une durée de trois ans.
Parrainés par les Z’indépendants, la troupe professionnelle Jamel Comedy club, nous avons travaillé étroitement avec les équipes pédagogiques de trois collèges de quartiers prioritaires : Théodore Monod à Roubaix, Raymond Devos à Hem et Gambetta à Lys Lez Lannoy. Ils ont identifié des élèves en échec à l’image de Marc, qui du fait de ses difficultés de comportement, est à mi-temps avec un Institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP), Karim qui restait chez lui scotché toute la journée devant ses jeux vidéo ou encore LeïIa qui arrivait à un taux d’absentéisme impressionnant. Nous avons commencé par emmener un groupe de neuf filles et six garçons voir un spectacle d’impro. Ils en sont repartis enthousiastes et prêts à s’investir dans ce que nous leur proposions. Nous avions décidé de les sortir du contexte scolaire. À partir du mois de novembre 2019, nous avons donc organisé notre atelier, tous les mer­credis de 17 h 00 à 19 h00, au Centre social d’Hem.
Chaque trimestre, nous avons loué un gîte pour organiser un stage intensif durant tout un week-end, en invitant un intervenant extérieur qui venait approfondir la formation technique.
Notre souci est de former chaque jeune en le faisant passer par tous les rôles du match d’impro : le joueur (qui doit savoir trouver des réparties, imaginer dans l’immédiat une scène, réagir à l’imprévu), l’arbitre (qui se montre impassible et parfois caricatural, se faisant siffler par le public, comme lors d’un vrai match), le Maître de cérémonie (qui est garant de la mise en scène et du déroulement du spectacle), le maître de musique (qui habille l’impro en l’accompagnant d’une lumière, d’une mélodie ou d’une chanson qui se prêtent au thème traité).
Mais, notre projet ne voulait pas se limiter uniquement à un atelier refermé sur lui-même. Nous avons aussi programmé trois voyages.
Le premier se concrétisera à travers un séjour au festival d’Avignon, en juillet 2022 pour permettre aux jeunes de découvrir le monde du théâtre. Le second nous transportera en décembre 2021 au Québec, dans le pays d’origine du théâtre d’impro, avec rencontre de l’école qui y est dédiée et d’élèves québecois. Troisième destination, le Maroc en juin 2023, avec un stage proposé en commun avec des jeunes de ce pays.
Évidemment, ce projet qui s’étale sur trois ans a un coût : 95 000 €. Nous avons engagé avec le groupe tout un travail de recherche de financement en les y associant étroitement. Nous avons déjà obtenu une participation du ministère des affaires étrangères pour le séjour au Québec. Nous avons aussi le soutien du Crédit mutuel. Et puis, si le groupe s’est déjà produit devant des proches ou des familles, il va aussi le faire dans la salle du théâtre de l’aventure à Hem, les spectateurs contribuant au projet, en payant leur place.
Nous nous étions fixés un certain nom­bre d’objectifs éducatifs directement liés à la technique théâtrale utilisée : favoriser l’épanouissement individuel de chaque ado à travers son expression individuelle orale et physique sur scène ; développer sa capacité à écouter ce que l’autre a à dire, compétence indispensable pour structurer l’improvisation ; encourager l’esprit d’équipe en se solidarisant avec ce que vit son copain qu’il faut relayer quand il est en difficulté ; se mobiliser autour de l’élaboration d’un projet, sa présentation à de potentiels financeurs ; s’engager dans les démarches administratives etc…
L’activité de l’atelier a été perturbée, comme ailleurs, au moment du confinement, nous contraignant à assurer des interventions en virtuel avec les moyens du bord. Cela n’a pas été facile pour toutes les familles de mettre à disposition le matériel informatique nécessaire à suivre ce que nous proposions sur le net. À l’issue de cette période difficile, pas un seul jeune ne manquait à l’appel !
Une année d’atelier a suffi pour les faire évoluer positivement. C’est Rayan, mutique à son arrivée dans l’atelier, qui aujour­d’hui s’exprime avec conviction sur scène. C’est Hector, enfant souffrant de troubles autistiques qui, au début, ne voulait mimer qu’un chauffeur de bus et qui accepte d’imaginer d’autres postures. Tous et toutes ont pris confiance en eux, ont pour beaucoup libéré leur parole. Les collèges sont ravis de ce changement et n’ont qu’une envie, c’est de nous envoyer d’autres élèves. Ce qui est compliqué, car nous avons volontairement limité le nombre de participants à quinze, ce qui est déjà beaucoup pour des ados. Et le groupe est fermé jusqu’à l’échéance des trois ans. Les familles, quant à elles, sont enchan­tées, elles aussi. Elles sont toujours présentes quand nous les sollicitons. Jamais, elles ne ratent un spectacle quand leur enfant s’y produit. Elles participent aux opérations d’auto-financement et ne trai­nent pas quand il s’agit d’effectuer des démarches administratives (quand il s’agit d’établir un passeport par exemple). Elles ont même renoué le dialogue avec le collège, alors qu’auparavant elles ne s’y rendaient jamais, répondant peu aux sollicitations des profs.
Les collégiens pourraient vivre mal la fin de leur aventure, puisqu’elle est programmée sur une durée limitée à trois ans. Il n’en sera rien. Si tel est leur souhait, nous avons bien l’intention de les accompagner pour qu’ils créent leur propre association et continuent à faire vivre leur troupe d’impro !
Pour ce qui est de nos pratiques professionnelles, même si ce théâtre n’est pas très familier en France, son utilisation en éducation spécialisée peut avoir des effets surprenants.



À lire Dossier « Théâtre en prison » n°1288