N° 1143 | Le 12 juin 2014 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

L’enfant interdit

Pierre Verdrager


éd. Armand Colin, 2013 (340 p. ; 25 €) | Commander ce livre

Thème : Abus sexuel

La pédophilie heurte tellement les consciences contemporaines qu’on a du mal à imaginer qu’il n’en a pas été ainsi de tout temps. Pourtant, dans les années 1970, la remise en cause des valeurs patriarcales a charrié une mouvance soutenue par des personnalités respectables et animée par des associations et des journaux visant à transformer la pédophilie en cause politique à défendre et à promouvoir. Son argumentation se fondait sur l’émancipation de l’enfance tant par rapport à la domination des adultes en général que de la famille en particulier, mais aussi au regard de l’inhibition de sa sexualité. Il s’agissait de libérer les enfants de l’arriération d’une tradition oppressante niant leur désir et leur accès au plaisir.

Des membres de l’élite intellectuelle de gauche s’exprimèrent dans les journaux de référence pour apporter leur soutien, signant force pétition pour la dépénalisation des relations sexuelles entre adultes et mineurs de moins de quinze ans. Des politiques se déclarèrent favorables à l’abaissement de l’âge de la majorité sexuelle, de quinze à treize ans. Des médecins expliquèrent que la puberté commençait dès six ans et que l’orgasme intervenait bien plus tôt qu’on ne l’imaginait. Des psychanalystes banalisèrent les rapports sexuels avec les enfants. L’extrême gauche libertaire ne fut pas la seule à revendiquer cette libération des mœurs, l’extrême droite le fit tout autant. Le pédophile, de coupable était devenu une victime, subissant les préjugés, le manque d’information et les superstitions d’une société rétrograde et irrationnelle, accusée de propager la pédophobie. La pathologisation du normal et la normalisation de la pathologie furent poussées à l’extrême, au point d’interroger la figure problématique de l’adulte qui ne voulait pas avoir de rapport avec un mineur !

La tentative de légitimer cette perversion sexuelle a échoué. Les défenseurs de l’homosexualité, qui avaient fait un temps cause commune, s’en séparèrent. Les féministes l’accusèrent de faire le lit de la domination masculine. Les défenseurs de l’enfance combattirent la symétrisation ontologique qui faisait de l’enfant l’égal de l’adulte. Les militants pédophiles ont perdu le combat pour faire admettre la thèse constructionniste prétendant que les critiques contre la pédophilie dépendraient du regard porté, à une époque donnée. Les lois condamnant leurs agissements connurent, de 1994 à 2007, sept réécritures, les réprimant toujours plus sévèrement.

Tout l’intérêt de l’ouvrage de Pierre Verdrager consiste justement à restituer cette défaite en évitant la diabolisation du sujet qu’il traite : le sociologue est là, explique-t-il, non pour faire le procès des acteurs, mais pour les observer. Son étude détaillée et particulièrement bien documentée découpe au scalpel une réalité que notre mémoire avait particulièrement oubliée.


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