N° 850 | Le 30 août 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)
Pour être bien lu, ce livre réclame du… silence. Il est des ouvrages qui ne peuvent être arpentés dans le bruit et le tumulte de la vie quotidienne tant l’encre de chaque mot pèse sur la matière du livre. Celui de Sophie Krauss est de ceux-là : circonvolutions neuronales et psychisme qui se déploie, terre qui s’enroule sous les doigts et corps en lutte contre tout ce qui soudain fait sale, trace, impasse et lasse. « L’espace autistique est un espace sans bord et sans limite, sans arrière et sans support. L’enfant autiste est donc à la recherche d’une surface, d’un bord, d’une limite pour sentir sa peau et ses contours. Pour ce faire, il a besoin d’une présence tactile, constante… » (p.222). Ces quelques lignes de conclusion résument bien toute la philosophie d’un ouvrage dont l’hypothèse, forte et originale, est posée dans les toutes premières pages : l’autisme est une « bifurcation catastrophique » (p.22). En clair, tout enfant à naître est sous la menace d’un risque d’autisme. Pour comprendre ce parti pris idéologique il faut en revenir à ce qui fait l’essence de l’humain et rompre avec les cartésiens et leurs vielles théories idéalistes.
Au commencement de l’être est un corps, et un corps sans psychisme ; même si, paradoxalement, tout le matériau est déjà là pour donner forme à ce devenir psychique et affectif (les sens, le cerveau et ses prolongements annexes). Au commencement de l’être est un corps sans conscience ; d’aucuns peinent encore à donner sens à cette vérité tant elle bouscule les évidences d’un « je » d’emblée rationnel et rationalisant. Pour Sophie Krauss, quiconque veut comprendre les souffrances de l’autisme doit être en mesure de se projeter à ce stade de la vie où s’origine le passage d’un « dedans » vers un « dehors », d’un enveloppement total et sécurisant à la projection vers un infini froid et menaçant. Une chute… une chute que d’autres textes fondateurs assimilèrent à la perte d’un paradis. L’autisme vient de l’incapacité de l’être en devenir à supporter ce passage et à en surmonter le traumatisme.
Peu importe de savoir pourquoi ? À cet égard, l’ouvrage laisse loin derrière lui les querelles entre les tenants du tout psychanalytique et ceux du tout génétique ; il s’attache plus sérieusement à la question du « comment ? » Comment redonnez contenance à une existence qui s’enfuit et se délite ? C’est ici qu’entre en jeu la matière, terre et pâte à modeler. Psychologue et clinicienne, l’auteur s’appuie sur sept années d’expériences pour décoder les productions plastiques d’enfants autistes à l’aide d’une grille de lecture. Ce livre arrive à point nommé ; il est véritablement une main tendue à toutes les institutions qui ont su garder en leur sein un atelier terre ou modelage et dont les équipes s’appuient encore sur les techniques de médiation pour tisser un lien éducatif.
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