N° 666 | Le 15 mai 2003 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)
L’éducateur technique spécialisé trouve ses racines dans le mouvement philanthropique qui essaiera dans les années 1830 de soulager les enfants et adolescents jusque-là emprisonnés avec les adultes. Avant de devenir ces sinistres bagnes d’enfants justement dénoncés par Alexis Danan, les colonies pénitentiaires et agricoles seront animées par une authentique volonté de transformer l’enfermement en éducation. L’éducateur surveillant et le contremaître d’atelier y préfigurent alors les fonctions contemporaines d’éducateur spécialisé et d’éducateur technique spécialisé. Mais, il en aura fallu du temps pour que le moniteur d’atelier soit reconnu par un diplôme national qui voit enfin le jour en 1976 : le Certificat d’aptitude aux fonctions d’éducateur technique spécialisé (CAFETS).
Éducateur spécialisé avant d’être responsable de la formation des éducateurs techniques spécialisés à l’ITS de Tours, Pierre-Paul Chapon nous propose ici une somme de savoirs tout à fait passionnante. Son propos nous mène de l’histoire de la colonie pénitentiaire et agricole de Mettray (premier de ces établissements à avoir été créés en 1838) jusqu’à la recension des écrits consacrés aux éducateurs techniques spécialisés, en passant par de la formation et le diplôme, sans oublier une longue présentation du métier, de ses atouts et de ses difficultés.
L’ouverture massive d’IMPro et de CAT entre 1970 et 1980 va contribuer à la reconnaissance de la profession qui se dote en 1981 d’une organisation spécifique : l’Association nationale des éducateurs techniques spécialisés (ANETS) — entrée en sommeil depuis. Aux trois quarts constitués d’hommes, aux deux tiers originaires de communes rurales, à 80 % issus de milieux ouvriers et agricoles, les éducateurs techniques spécialisés ont une expérience préalable de travailleur manuel : chez eux, « c’est la main qui est esprit, une main au creux de laquelle l’outil en tant qu’objet transitionnel agit sur la matière et la façonne » (p.203).
Mais ce qui peut apparaître comme un indéniable atout n’en constitue pas moins une difficulté, tant ils restent partagés entre deux cultures, deux champs, deux familles : le monde ouvrier d’où ils viennent et l’univers des éducateurs qu’ils ont du mal à intégrer complètement. La formation n’est pas obligatoire à l’exercice du métier, mais l’exercice du métier est l’une des conditions à l’entrée en formation qui n’est possible qu’en cours d’emploi.
Cette période constitue un vrai chamboulement car, il n’est guère facile de se retrouver sur les bancs de l’école pour des adultes qui l’ont quittée, il y a de cela souvent très longtemps. Le fort taux de réussite à l’examen (entre 92 et 94 %) est le signe d’une authentique promotion sociale qui permet de gagner en salaire, en temps de travail et en congés. Mais, ces travailleurs sociaux à part entière se vivent néanmoins en marge du reste de leurs collègues, victimes de la dévalorisation que notre société projette sur le travail manuel.
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