N° 762 | Le 21 juillet 2005 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Kiffe kiffe demain

Faïza Guène


éd. Hachette, 2004 (194 p. ; 16 €) | Commander ce livre

Thème : Banlieue

« Maman, quand elle vivait au pays, elle avait réussi à capter les chaînes françaises, grâce à une antenne expérimentale fabriquée avec une couscoussière en inox. Quand elle est arrivée avec mon père à Livry Gargan, en février 1984, elle a cru qu’elle avait pris le mauvais bateau et qu’ils s’étaient trompés de pays. Elle m’a dit que la première chose qu’elle avait faite en arrivant dans ce minuscule F2, ça avait été de vomir. Je me demande si c’était les effets du mal de mer ou l’idée qu’elle venait juste de se faire de son avenir dans ce bled. Puis je suis née. Mais je n’ai pas eu de petit frère.

Alors, mon père est reparti au pays pour se remarier. Je vais comme tout le monde à l’école. Pour mon jour de rentrée, maman m’a fait une queue-de-cheval, après avoir brossé mes cheveux avec de l’huile d’olive. M’en fous, du moment que je suis belle dans ses yeux. Quand les gens me disent que je lui ressemble, je suis fière. Le proviseur s’appelle Monsieur Loiseau. Il est gros, il est con. Quand il ouvre la bouche, ça sent le vin de table de Leader Price. L’autre jour il a été gazé avec une bombe lacrymogène par un élève de l’extérieur. Il n’a pas de chance quand même : la seule fois où il sort de son bureau, histoire de vérifier que l’établissement tient encore debout, c’est pour se faire gazer !

Le prof a donné un devoir d’instruction civique sur l’abstention. Un mec qui ne va plus à l’école depuis longtemps, qui n’arrive plus à trouver du boulot et dont les parents ne travaillent plus et qui partage sa chambre avec ses quatre petits frères, qu’est-ce qu’il a à battre d’aller voter ? Je vais voir Madame Burland tous les lundis. Madame Burland, elle est vieille, elle est moche et elle sent le parapoux. C’est le lycée qui m’a envoyée chez elle. Les profs, entre deux grèves, se sont dit que j’avais besoin de voir quelqu’un, parce qu’ils me trouvaient renfermée. Ce qui est relou avec tous ceux qui commencent par « psy », c’est qu’ils veulent que tu leur racontes toute ta vie, et eux, ils te disent rien. Elle m’énerve quand elle fait celle qui a réponse à tout et qu’elle affiche un sourire satisfait comme Harisson Ford à la fin de tous les épisodes des « Aventuriers de l’arche perdue ».

Si ça se trouve Madame Burland, elle est pas vraiment psy. Elle travaille peut-être dans le cinéma et s’inspire des foutaises que je lui raconte pour écrire un sitcom… Notre assistante sociale de la mairie, elle, elle ne se prive pas, pour nous raconter sa vie. Elle fait vraiment bien semblant d’en avoir quelque chose à cirer de nos vies. On y croirait presque. Je me demande si elle n’a pas choisi ce métier, parce que ça la rassure de s’occuper de la misère des autres. Je collectionne les prospectus de marabout : « je résous tous les problèmes ». Mais, je me dis que si c’était vrai, on serait tous heureux et Madame Burland ou l’assistante sociale de la mairie seraient au chômage ».

La banlieue et sa jeunesse sont trop souvent diabolisées ou décrites de façon misérabiliste. Dans un style à l’humour ravageur et décapant, Faïza Guène nous propose un regard faussement naïf, mais avec une vraie sensibilité, qui vise juste et touche sa cible.


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