N° 1279 | Le 15 septembre 2020 | Par Benoît Magras, intervenant auprès de jeunes en décrochage scolaire | Espace du lecteur (accès libre)

Il n’y a personne à la maison

Thèmes : Parentalité, Relations

Du drame de l’enfant à la quête spirituelle.

C’est l’histoire d’un enfant ou peut être bien celle d’un adulte. Celle d’un enfant devenu adulte. Celle d’un enfant devenu grand caché derrière les apparences. C’est l’histoire de l’enfance et de l’éducation, dans certains cas, certaines dérives. C’est l’histoire d’une déconnexion à soi, aux autres, à la nature. C’est l’histoire d’un vide intérieur que la religion n’a pas comblée. Il n’y avait personne à la maison. Parents absents, en déplacement ou chez des amis, encore. Des parents là, pas vraiment là, préoccupés par la télé, le canapé. Il y avait des enfants criants, courants, dans la maison. Il y avait la vie et les écrans. Ceux qui font obstacles et permettent de vivre une vie par procuration. Celle-là même absente de la réalité. Finalement, dans ces jeux, on y trouve tout ce qu’on n’a pas trouvé ailleurs : le désir de se sentir vivant, la combativité, l’ardeur, la confrontation, oui, celle-là même qui est constructive. Être parent, ce n’était pas se la couler douce, être tranquille, se reposer, et baigner dans le plaisir. Être parent, si ce n’est un travail, c’est une occupation, à temps plein, inconditionnelle. Qui était vraiment prêt à cela ? Être parent. Fixer des limites et traverser les tourments. Être un phare ou un navire coulé. Abandonner ou accueillir. Survivre ou s’amuser. Il n’y a pas deux parents identiques. Il y a des parents qui prennent soin de leur enfant intérieur. L’enfant qui crie et qui jubile, quand ça s’amuse. Il y a les autres. Il y a des parents qui ont tué leur enfant intérieur ou du moins qui l’ont muselé, par trop de souffrances, pensent-ils. Il est toujours vivant, lui, là, sous la couche de Terre. Il est à l’intérieur, bien au fond, prêt à agir, à réagir et à arguer ses droits, son bon droit. Prêt à se réjouir, à danser s’il le faut. Il attend parfois comme un enterré vivant et tombe toujours sur le répondeur du parent absent. Veuillez laisser un message. Mais où êtes-vous ? Où êtes-vous papa, maman ? M’entendez-vous, vraiment ? Il n’a pas de morale dans l’éducation et les parents sont les premiers éducateurs. Il y a la réalité. Nos actes parlent pour nous, nos paroles, nos pensées aussi, bien que nous ne sommes pas eux. Prendre soin, ce n’est pas donné à tout le monde. Absents à soi-même, comment peut-on nourrir l’autre, cet autre, qui me rappelle à moi-même, sans arrêt. Jusqu’à quand rester assis à ne rien faire. Jusqu’à quand déblatérer sur l’état du monde et ne pas entendre le cri de son propre enfant. Les enfants, lanceurs d’alertes. Parfois, l’enfant c’est le monde qui crie famine et nous nous taisons ce qui vit en nous. Mais bon Dieu, où donc es-tu passé ? Cet enfant grandit. Cet enfant, sort du ventre de sa mère, oui, elle qui n’a pas pris soin d’elle et de son enfant bien intérieur. Il grandit, brinquebalant ses cliques et ses clacs, cherchant refuge ici dans le bouddhisme et là dans l’hindouisme, le christianisme, le chamanisme. Tout ce qui finit en -isme et qui peut indiquer une ligne de conduite, une direction, quitte à ce que ce soit l’alcoolisme. Cela peut être aussi le sport, la drogue, l’humour ou tant d’autres refuges. Pas de clochers de chapelles pourvu que l’on n’emmerde pas trop ces adultes absents. Pas là, à la maison. Pas à leur maison, absents de leur propre corps, de leur douleur, de leurs pensées, de leurs émotions. Il y a le feu, mais les pompiers sont absents, en grève, au téléphone ou devant la télé. Irrémédiablement lâchés dans un monde qu’ils ne comprennent plus et qu’ils ont depuis longtemps arrêté de chercher à comprendre. Pardon ? Arrêter de chercher à comprendre le monde ? Certainement pas ! L’enfant, juste là à l’intérieur, se révolte, s’obstine, curieux, peut-être timide, mais intrépide ! Il crie «  à l’aide  », «  à l’aide  » et personne ne lui répond. Certains avant-gardistes se lancèrent dans une quête sauvage, parfois disproportionnée, les menant sur milles chemins. Perdus et désespérés, leur salut ne tenait qu’au fait de se retrouver, de s’unifier et de se construire des repères, là où il n’y en a jamais eu. Condamner, non. Il sait à quel point l’enfermement est invivable. Juger, non. Vivre, oui, et discriminer encore, pour construire son jugement, ses raisonnements, son chemin. De la maison vide à la quête spirituelle, il n’y a parfois qu’un pas. Celui qui fait passer de l’absence à la présence, du vide au plein, du répondeur à la réponse. Cette quête, si elle n’a pas de fin, peut éviter bien des dégâts. Néanmoins, elle en découvrira d’autres aussi. N’en déplaise aux ayatollah et totalitaristes de tous bords.