Handicap : l’ONU hurle, un long silence lui répond
La rapporteure de l’ONU en charge des droits des personnes en situation de handicap pointe une « ségrégation » française et demande la fermeture de tous les établissements d’accueil. Une charge face à laquelle les associations gestionnaires ont à peine réagi.
Un premier signal, passé quasiment inaperçu, avait été donné en septembre par le commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, Nils Muižnieks, dans un texte relatif aux droits des personnes en situation de handicap. « J’ai pu observer des pratiques discutables, telles que le grand nombre d’hospitalisations sous contrainte en France », écrivait-il, regrettant la persistance « du placement involontaire, du traitement coercitif et du recours à des moyens de contention en psychiatrie ».
Ségrégation systématique
Nils Muižnieks regrettait aussi le retard français sur l’éducation inclusive : « près de 80% des enfants autistes sont exclus du système éducatif ordinaire, ce qui a valu à la France d’être reconnue coupable à plusieurs reprises de violations de la Charte sociale européenne par le Comité européen des droits sociaux, dans le cadre de la procédure de réclamations collectives ».
Mais la vraie charge est arrivée un mois plus tard, au terme d’un séjour de dix jours sur le sol français de Catalina Devandas. La rapporteure pour l’ONU en charge des droits des personnes en situation de handicap a effectué une quarantaine de visites dans des institutions à Lyon, Marseille, Avignon et Paris (ndlr : la liste précise est confidentielle) et son verdict est clair : la France doit selon elle fermer tous les établissements car ils engendrent « une ségrégation systématique ».
Unapéi , Apajh, Ladapt… aux abonnés absents
Et de poursuivre : « Par définition, l’institutionnalisation interdit aux personnes l’exercice plein et entier de leurs droits ». Son rapport définitif doit être délivré en mars 2019. Face à une telle mise en demeure, quelle fut la réaction du secteur, des professionnels, des associations gestionnaires ? Proche du néant. L’Unapéi « n’a pas prévu de réagir pour l’heure », l’Apajh, Ladapt et les autres ne cherchant pas plus à se faire entendre.
Seul le Groupe polyhandicap France (GPF) a fait part de son inquiétude dans une lettre ouverte : « Ne fermons pas nos établissements, transformons les. Un établissement qui ferme arbitrairement, c’est une médiathèque qui brûle, un savoir expérientiel qui meurt. C’est une perte de chances pour les personnes polyhandicapées comme pour la société. Les établissements ne s’opposent pas à l’inclusion Madame, ils participent de l’inclusion ».
La désinstitutionnalisation : un concept « travesti »
L’Association nationale des directeurs et cadres d’Esat (Andicat) s’indigne également d’une telle « manipulation ». « Il est faux de dire que les institutions sont immobiles, nous n’arrêtons pas de créer des services et de les inclure dans leur environnement, déclare Gérard Zribi, président. Et nous en aurons toujours besoin ! C’est ahurissant de vouloir faire porter tout le poids du handicap sur les familles pour diminuer les coûts sociaux : car moins de services, c’est moins de coût pour l’État ». Il regrette que le concept de « désinstitutionnalisation » soit ainsi « travesti », au mépris d’un secteur « très mal connu », qui travaille auprès de publics aux handicaps parfois très lourds et nécessitant « une prise en charge très intense ».
Une évolution nécessaire
Sur des sujets comme la contention, la sur-médicamentation, l’absence de consentement, l’enfermement des personnes en situation de handicap psychique, la maltraitance institutionnelle, l’absence d’inclusion des enfants en situation de handicap dans le milieu scolaire, une évolution sociétale est évidemment nécessaire.
Faut-il pour autant balayer d’un revers de déclaration péremptoire toutes les initiatives associatives visant à soulager le quotidien des personnes et de leurs familles, à favoriser l’intégration dans la société, tout en maintenant pour certaines personnes un filet de sécurité ? Entre une accusation globalisante d’un côté, et un silence ambigü de l’autre, c’est un choix de société qui s’impose.