Enfants réunionnais transplantés

Entre 1963 et 1982, plus de 2 000 mineurs réunionnais de 6 à 21 ans ont été envoyés par les services de l’État en métropole : ces enfants « de la Creuse » – du nom du département qui en accueillit le plus – ont été de fait exilés, transplantés – « déportés », soupirent nombre d’entre eux –, engendrant un certain nombre de traumatismes. La logique politique était alors des plus simples : repeupler des campagnes métropolitaines désertifiées, à l’aide d’enfants de la Réunion, territoire qui vivait alors une situation sanitaire et sociale catastrophique. Quelques assistantes sociales participèrent à cette entreprise, sillonnant l’île pour recueillir des consentements viciés, basés sur la tromperie.

Les failles de l’ASE

Arrivés en métropole, les enfants furent placés en famille d’accueil, en centres éducatifs, voire, pour le cinquième d’entre eux, adoptés. Souvent maltraités, exploités. Il connaîtront toutes sortes d’abus : il y aura des fugues, parfois de la délinquance, des dépressions, des troubles psychologiques, des suicides. À tel point que dès 1968, la DDAS de la Creuse demandait un arrêt du programme en raison des « difficultés d’adaptation » des jeunes réunionnais… Cette affaire, note une récente étude de la transplantation des mineurs de la Réunion en France hexagonale, « révèle les failles de la politique générale de l’ASE des années 1960 ». Les auteurs y rappellent comment l’Église fut la seule à répondre aux besoins sociaux – la question des « filles-mères », par exemple, y était prédominante –, avant que ne soit créée la DDASS en 1964…

Reconnaissance tardive

Il fallut du temps : dans leur grande majorité, les archives concernant ces enfants avaient été égarées ou détruites par les services de l’État. Des plaintes furent déposées, y compris auprès de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), toutes invalidées pour cause de prescription. Un ancien « déplacé », Jean-Jacques Martial, dans un but de sensibilisation, avait réclamé en 2002 un milliard et demi d’euros pour préjudice subi. Peu à peu, l’État ne pourra que reconnaître sa responsabilité morale dans cet épisode douloureux.
Une Étude de la transplantation de mineurs de La Réunion en France hexagonale a récemment été remis à la ministre des Outre-mer, Annick Girardin. Près de 700 pages édifiantes, passionnantes. La Commission appelle à une reconnaissance solennelle de cette affaire au plus haut niveau de l’État. Avec ses douleurs et ses débuts de réparation enfin obtenus, la question des enfants réunionnais transplantés est définitivement entrée dans l’histoire.