N° 1331 | Le 17 janvier 2023 | Par Armelle Hours, psychiatre psychanalyste, Caroline Ferlay, éducatrice spécialisée, Laurence Robineau, monitrice éducatrice, Nathalie Torresin, conseillère en économie sociale et familiale, Association Mornantaise pour l’accueil des Personnes Handicapées (Acolea-AMPH) et Christian Journet, président de l’association Duppata | Échos du terrain (accès libre)

Du conte à la fresque Warli : co-constructions fructueuses au sein d’un Domicile Collectif

Thèmes : Handicapés, art thérapie

L’expérience que décrit cet article a eu lieu dans un Domicile Collectif à Givors (69) où sont accueillis des adultes en situation de handicap, mental ou psychique, avec une orientation MDPH. L’aide éducative, organisée dans l’intermittence, favorise l’autonomie. Ce projet innovant a réuni plusieurs protagonistes, les résidents et l’équipe du Domicile Collectif avec le soutien des cadres de l’institution, l’association Duppata et l’artiste peintre de la tribu Warli, Reena Vansing Valvi vivant en Inde.

Un précédent atelier à médiation a été coanimé par un membre de l’équipe éducative et par la psychiatre psychanalyste. Ce temps initial a permis de relancer les vertus du groupe au travail (Kaes, 1976). La perspective de quitter la villa pour une installation dans des appartements individuels voit le jour. En réactivant des vécus de lâchage propres aux situations de changement, ce déménagement est initialement vécu comme une menace. À la même période, les conséquences de la pandémie exacerbent les craintes d’isolement. Grâce à ce dispositif groupal, les résidents ont pu continuer à se réunir une fois par mois.
L’objectif de cet Atelier-Écriture, est de préserver une trace de l’histoire. Au fil de chaque séance, les souvenirs sont consignés dans un cahier. Les résidents racontent à la volée, comme ça vient, des anecdotes, individuelles ou collectives. Après ce recueil, les co-animatrices proposent de construire une trame narrative. Averties du travail de l’association Duppata, elles consacrent une séance à la découverte d’une peinture Warli. Très impressionné par les talents de la peintre et par la richesse graphique Warli, langage de l’image, le groupe découvre cette écriture.
Au cours des séances ultérieures, la trame narrative se dessine sous forme de conte : «  L’histoire du chat à Pois  ». Au fur et à mesure, les résidents proposent des réajustements, au plus près de leur vécu et de leurs souvenirs. Un véritable travail de co-construction groupale opère (Kaës 1999). Ce chat à pois souhaite faire la connaissance des habitants. Il pose des questions sur leurs us et coutumes, leurs souvenirs. La transcription graphique de la trame narrative s’ajuste naturellement à la richesse du récit et à la préservation de l’accès, y compris pour ceux qui n’ont pas la lecture.

L’association Duppata

L’association Duppata favorise les rencontres culturelles et soutient, y compris financièrement, certaines minorités de l’Inde. Celles-ci ont des pratiques artistiques variées liées au contexte culturel, les Bhils, les Gonds, les Kurumbas, les Madhubanis, les Oarons, les Saoras, les Warlis, les Santhals. Depuis 2008, date de création de l’association, les actions se développent. Au début, quelques expositions ont été organisées. Puis, le travail avec une conteuse a transformé ces histoires en arts vivants. Ensuite, certains peintres ont été invités en France afin de réaliser sur place des peintures. Puis, une nouvelle étape a été franchie : le récit illustré d’histoires interprétées par des peintres indiens.
Les Warlis sont des Indiens tribaux, encore appelés Adivasis. Les Warlis descendent des chasseurs-cueilleurs, et font partie des minorités hors caste, victimes d’une forme de bannissement pendant la colonisation anglaise. Les Warlis résident aujourd’hui principalement autour de la région de Mumbai (Marchand, 2011). Leur mode de vie rural est tourné vers la préservation de l’environnement. L’héritage Warli s’inscrit dans une philosophie de l’accueil (Peirera, 2010). La richesse de la tradition orale et picturale supplée à la quasi-absence de transmissions écrite. L’art Warli est bien reconnaissable. Les personnages sont représentés par deux triangles inversés, peints en blanc, peinture à base de riz, sur fond sombre, mélange de terre et de bouse. Cet art est connu en France surtout depuis les années 1970 grâce à l’artiste J. Soma Mashe. Dans les villages Warlis, ces transcriptions graphiques, mémoires véritables, soutiennent la tradition orale.

De la mise en récit à la mise en image

Après une rencontre avec C. Journet, président de l’association Duppata, la réalisation d’une fresque est envisagée. La peintre Reena Vansing Valvi accepte cette mission. Tout un travail de tissage s’est ensuite initié pendant plusieurs mois. Grâce à l’association Duppata (1), maillon indispensable, les transcriptions ont été possibles. Le conte est séquencé en quarante-cinq scènes confiées à la peintre après traduction et contextualisation. Elle propose des esquisses et suggère également que chacun des protagonistes soit représenté par un attribut pour une identification facilitée. Les esquisses, reçues par mail, sont corrigées et/ou validées par les participants. Scène après scène, l’attention portée au respect de la parole transmise valorise chacun.
Initialement, l’artiste devait venir à Givors pour la réalisation finale. Cependant, du fait des contraintes dues à la pandémie, le travail s’est poursuivi à distance. La réalisation de la fresque s’est faite sur trois panneaux de toile de 1 m², envoyés roulés, puis installés sur des cadres à leur arrivée en France.
En novembre 2021, l’inauguration officielle a eu lieu à Givors. Reena, ayant pris soin d’envoyer des vidéos de son univers familier, était d’une certaine manière présente, dans l’attente de l’organisation de l’inauguration en sa présence.
La fresque (voir photo) est maintenant installée dans le nouveau Domicile Collectif. Chaque résident a le plaisir de se raconter, de se souvenir ou d’imaginer une histoire.
Cette aventure a suscité un réel plaisir, témoignant à la fois de l’investissement dans ce projet et du plaisir partagé, assurément fédérateur (2). En préservant une trace de l’histoire, ce projet de fresque a accompagné le déménagement. Malgré la conjoncture de la pandémie, cette réalisation a été possible grâce à la motivation, et à la confiance dans ce travail de groupe. C’est un témoignage de la valeur du travail éducatif, ainsi que la richesse du collectif dans sa dimension organisatrice et créative avec les personnes en situation de handicap (Hours, 2022). La fresque est ainsi devenue un support pour la circulation, d’une minorité à l’autre, d’une région à l’autre, et d’une époque à l’autre. La place de l’espace culturel au sens large se trouve une fois encore, affirmée avec force.


(1) C.  Journet son président, S. Muthukumar a œuvré aux traductions et aux transmissions à Reena Vansing Valvi, et les autres membres ayant soutenu ce projet. https://www.duppata.com/ (2) Un projet de livre illustré est en cours.

Bibliographie

- Hours A., The institution, mental disability and the psychoanalyst : Prospects presented by a revival of intersubjective receptivity in groups, The International Journal of Psychoanalysis, 2022, 103 : 1, 144-158.
- Kaës R., L’appareil psychique groupal, Paris, éd. Dunod, 1976.
- Kaës R., Le conte et le groupe in : Kaes et al Contes et Divans, Paris, éd. Dunod, 1999.
- Marchand J., Construction identitaire de l’art tribal contemporain indien/Mémoire de M2, dir Ph. Dagen, 2011.
- Pereira W., The Sustainable lifestype of the Warlis, Kolkata, India, éd. Earthcare book, 2010.