N° 810 | Le 28 septembre 2006 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Des éducateurs dans la rue. Histoire de la prévention spécialisée

Vincent Peyre & Françoise Tétard


éd. La Découverte, 2006 (276 p. ; 19 €) | Commander ce livre

Thème : Prévention spécialisée

La prévention spécialisée ne repose au départ sur aucun socle théorique. C’est avant tout une manière d’être et de faire. Elle naît d’une volonté de relayer l’internat qui constitue la seule et unique solution rééducative depuis 150 ans. C’est dans l’effervescence de l’après-guerre qui mêle passion, enthousiasme et élans de générosité que se développent les premières expériences. « Des initiatives foisonnent de partout, les bonnes volontés agissent là où les besoins se font sentir, s’automissionnant dans le but de trouver des solutions rapides à des situations d’urgence » (p.36).

Dans cette fonction, l’éducateur cultive son talent personnel, tel un artiste agissant au gré de son inspiration. Il est mal payé et bénéficie d’un statut incertain. Il ne compte ni son temps, ni son énergie pour sauver cette jeunesse qui lui semble en danger d’elle-même. Il agit comme un inventeur qui n’aurait pas encore déposé son brevet ou le détenteur d’une compétence dont il n’a pas encore la pleine conscience.

C’est dans les années 50 qu’ont lieu les premiers regroupements. Certes, chacun se vit comme différent et revendique son autonomie. Mais la seule façon de sortir de la précarité, c’est d’offrir à l’État un seul et même interlocuteur. Une profession de foi des clubs et équipes de prévention est publiée le 21 janvier 1957. La circulaire d’application du ministère de la Santé, qui paraît le 20 avril 1959, officialise pour la première fois l’action engagée. En mai de la même année est créée la première fédération qui regroupe les premiers clubs. C’est la campagne de presse déclenchée en juillet 1959 contre les blousons noirs qui va donner toute sa visibilité à une action qui sort alors de la confidentialité. Une tentative de formation spécifique au métier aboutit en 1961/1962 à deux promotions d’étudiants qui s’engagent sur un cursus de deux ans. Mais c’est le principe d’une formation commune à l’ensemble des éducateurs qui finira par l’emporter.

L’arrêté de 1972 intègre la prévention à la politique de protection de l’enfance et pérennise les financements, rendant l’agrément obligatoire. Déjà dans les années 70, des procès posent la question du secret professionnel. En 1972 se crée le Comité national de liaison des clubs et équipes de prévention. Puis, c’est le doublement du nombre de clubs qui passent de 263 en 1973 à 565 en 1983.

Tout au long de cette période, les principes de la profession se sont structurés : libre adhésion du jeune, anonymat, absence de mandat nominatif… La décentralisation a confronté la prévention spécialisée au risque d’émiettement (par manque de politique nationale) et de contrôle social (certains conseils généraux n’hésitant pas à déconventionner les associations qui ne leur conviennent pas).

Aujourd’hui, c’est la montée de la politique sécuritaire qui menace d’une instrumentalisation au service de la répression. Mais la prévention spécialisée est encore vivace et, forte de ses 60 ans d’expérience, a encore beaucoup de choses à apporter.


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