N° 1090 | Le 24 janvier 2013 | Jacques Trémintin | Critiques de livres (accès libre)

Des drogues aux addictions. « Shooter » les représentations ?


Le Sociographe n° 39, septembre 2012, (144 p. ; 12 €) | Commander ce livre

Thème : Toxicomanie

L’étymologie des mots donne parfois tout son sens à leur utilisation : le terme « addiction » vient du latin addictus, qui signifie « débiteur adjugé comme esclave ». Ainsi, serait addicte toute personne asservie à une substance ou à un comportement allant bien au-delà des seuls produits psychotropes, puisqu’est aussi concerné le mésusage d’internet, du téléphone mobile ou… du chocolat. Notre société stigmatise l’addiction, alors même que son fonctionnement est profondément addictogène. C’est elle qui a affaibli les contenants collectifs qui protégeaient jusque-là de l’incertitude ; qui a créé un environnement hyperstimulant, privilégiant une immédiateté et un éphémère qui sont au cœur des drogues ; qui incite à la recherche d’une performance et d’un dépassement de soi, seulement accessibles parfois grâce à des produits dopants.

Pour combattre les effets de ce qu’elle a généré, la société a conçu des réponses suivant trois logiques qui convergent dans la même ignorance du sujet. La répression, d’abord, qui tend à substituer le contrôle social à l’autocontrôle par l’individu de sa propre consommation. La médecine, ensuite, qui vient remplacer la prise de conscience des limites à ne pas dépasser par une prescription de molécules chimiques de substitution. La gestion des risques, enfin, qui se propose de limiter les séquelles sanitaires dommageables, en lieu et place de renforcer le pouvoir d’agir de chacun. Le soin a longtemps consisté à identifier une pathologie, pour ensuite tenter de la faire sortir du corps.

Aujourd’hui, il cherche plus à éviter ses effets négatifs pour l’individu et la société qu’à s’y attaquer. Cette comptabilité des effets pervers potentiels a pour défaut majeur de vouloir chiffrer les conséquences négatives de la prise de produit, alors que ce qui importe c’est bien plus de déchiffrer le sens que la dépendance prend pour le sujet. Car la toxicomanie est d’abord un exorcisme du rapport au monde. À l’incertitude des relations aux autres, l’individu préfère le rapport régulier à un objet qui oriente totalement son existence. L’accoutumance déplace l’incontrôlable de la souffrance par la douleur du manque. Au lieu d’assouvir et de combler le désir, le produit vient l’entretenir. Et, c’est à ce désir qu’on finit par s’attacher. Nous sommes dans une époque de régulation chimique des tensions personnelles : « La dope est le moyen de combler la passion purement privée d’être soi dans l’impossibilité d’y arriver », affirmait Alain Ehremberg (cité p.59). S’en défaire implique de trouver une autre façon de continuer à vivre qui viendra compenser l’étayage apporté par la dépendance que l’on souhaite faire disparaître.


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