N° 1271 | Le 14 avril 2020 | Par Stéphanie Rivet, assistante de service social | Échos du terrain (accès libre)

De l’invisible dans le portage d’une assistante sociale en CMPP

Thèmes : Assistante sociale, Psychologie

Il est des professionnel·le·s dont la fonction est essentielle. Leur place est pourtant parfois ignorée. L’occasion de corriger ici cette injustice.

Un centre médico-psycho-pédagogique (CMPP) est un lieu de consultation et de soin en ambulatoire pour enfants de 0 à 20 ans, reçus par une équipe pluridisciplinaire (psychomotriciens, pédopsychiatres…), sur demande des représentants légaux.
Le motif de consultation est variable. L’initiative propre des familles en occupe une part importante. Mais, c’est majoritairement l’Éducation nationale qui oriente vers une prise en charge, du fait de l’apparition en collectivité de difficultés de langage, dans les apprentissages, le comportement ou le développement de l’enfant. Il est par ailleurs souvent mal aisé de distinguer l’impact des difficultés sociales dans les problèmes manifestés par l’enfant. Comment qualifier le travail de l’assistante sociale en CMPP ? Comment travaille-t-elle auprès des familles et de leurs enfants, de ses collègues et des partenaires ?
Florin (1) est un petit garçon âgé de 3 ans, lorsqu’il arrive au CMPP. Sa mère, d’origine rom, l’élève seule avec le soutien de sa famille. Elle ne cache pas son attachement à sa communauté dont elle explique transgresser les règles, en venant consulter. Le premier rendez-vous auquel elle se rend, accompagnée par sa propre mère, se passe très difficilement. L’enfant pleure, hurle et jette à terre ce qui passe à sa portée. Il dit très peu de mots. C’est probablement pour cette raison que l’école ne l’a accepté que deux jours. Pourtant, à la maison, il ne se comporte pas comme ça ; il réagit ainsi seulement en présence d’un tiers, explique sa mère. Le rendez-vous au CMPP sera écourté au bout de cinq minutes. Elle pense que son fils souffre d’hyperactivité et c’est sur les conseils de son médecin généraliste, qu’elle a pris rendez-vous à l’hôpital pour un bilan. Le projet de soin s’organise, dans un premier temps, autour de la séparation mère-enfant, afin de soulager l’un et l’autre. L’enfant est alors accompagné par ses grands-parents. Le travail avance lentement. Une tentative dans un groupe axé sur le langage échoue du fait de sa grande agitation. Au bout d’un an, l’assistante sociale est sollicitée afin d’envisager une demande de reconnaissance de handicap. Les droits à l’allocation d’éducation de l’enfant handicapé sont ouverts, du fait de la nécessaire présence quotidienne de cette maman au domicile.
Des démarches sont entreprises pour trouver un lieu de prise en charge plus intense en journée, pour renouer avec l’hôpital qui n’a pas donné de nouvelle à la demande de consultation, mais aussi pour réintégrer l’école maternelle à la suite de l’échec de la première tentative de scolarisation. Les mois passant, la séparation est mieux acceptée, ce qui facilite la mise en place de prises en charge successives en individuel (éducatrice spécialisée, psychomotricienne et orthophoniste). Dans le même temps, Florin est rescolarisé, à raison d’une heure en début de matinée avec une aide humaine accordée par la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH). Ses troubles du comportement ne permettent pas plus. L’assistante sociale reçoit la mère en entretien, quasiment à chacune des séances auxquelles se rend Florin. Ces rendez-vous se déroulent parfois en co-consultation avec le pédopsychiatre, pour parler du quotidien, pour soutenir cette maman dans la séparation avec son fils, lorsque la séance se finit dans les cris et les coups et pour faire le point sur les démarches auprès des établissements médico-sociaux notifiés par la MDPH. Ceux-ci ont répondu jusque-là par la négative, parce qu’ils sont complets, trop éloignés du domicile ou parce que le profil de Florin ne correspond pas à leur groupe (âge, pathologie etc.). La maman se confie de plus en plus à l’équipe, ne se montrant pas encore convaincue de ce projet. Le travail de co-consultation se concentre aussi sur cet aspect. L’assistante sociale se déplace à l’école pour assister aux réunions concernant Florin. Une petite augmentation du temps de présence en classe est négociée. Après plus de deux ans d’attente, une date de consultation au service de pédopsychiatrie de l’hôpital est obtenue et Florin passe plusieurs bilans aboutissant au diagnostic d’autisme, ce qui permet de mettre des mots pour la maman et de l’appuyer dans l’élaboration de ses projets.

L’assistante sociale occupe un rôle central, son travail au sein de l’équipe pluridisciplinaire du CMPP formant le pivot de la complémentarité dont les familles ont besoin pour s’inscrire dans la société et permettre d’assurer une continuité de la prise en charge transdisciplinaire de leur enfant. Cette place fondamentale est conforme à la définition du travail social du Code de l’action sociale et des familles. Pourtant, son action est trop souvent marquée par l’invisibilité active. L’Annexe XXXII qui statue sur les conditions d’agrément des CMPP stipule l’existence obligatoire d’un service social dans les CMPP. Or, le «  centre médico-psycho-pédagogique  » ne fait pas apparaître sa spécificité, parce qu’il ne fait partie ni du médico, ni du psycho, ni du pédagogique. Répétons-le, sa place est incontournable en parallèle des soins, là où le regard social est essentiel à la construction d’une prise en charge globale permettant de garantir la cohérence du projet thérapeutique de l’enfant. Son intervention spécialisée, car plurielle, consiste tant en la création de liens en interne au sein de l’équipe, qu’avec l’extérieur, mais aussi avec les parents. Appeler par téléphone avec eux, se renseigner avec eux, être disponible pour qu’ils soient entendus et écoutés lorsque ces petites, mais très importantes, démarches sont trop lourdes à porter seul, font partie de ses missions. Cette disponibilité psychique permet aux familles d’apprendre à décoder les rouages de l’administration française, de les accompagner dans l’exercice de leur parentalité ici quand ils viennent d’ailleurs (Moro (2), ou de bénéficier d’une traduction immédiate de la langue complexe de l’administration. On s’y engouffre alors avec eux et cela les rassure. Cette relation d’aide, au sens défini par Rogers (3), permet d’aller à leur rythme tout en leur assurant un processus d’auto-appropriation de leurs démarches. À tous les niveaux, l’assistante sociale apporte une expertise sociale qui a pour particularité d’être pluridimensionnelle. Ses compétences sont composées de valeurs, de principes éthiques, de savoirs pratiques s’appuyant sur l’expérience du territoire où vivent les personnes et sur les ressources mobilisables par elles. Mais aussi, de savoirs théoriques comme des connaissances dans le domaine juridique, politique, budgétaire, administratif, psychologique, médical, du handicap etc. In fine, c’est un travail à géométrie et temporalité variables. De plus, le bureau de l’assistante sociale offre un espace d’accueil, d’écoute et d’analyse de la situation assurant à l’équipe soignante la possibilité d’avoir une vision globale de l’environnement social et complète les soins. Le travail de portage symbolique et d’accompagnement de la subjectivité des familles, des mères et des pères, constitue donc la niche qui permet une créativité à partir des besoins de l’enfant.
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(1) Le prénom a été changé.
(2) Moro, Marie Rose (1994). Parents en exil,
PUF, Le fil rouge.
(3) Rogers, Carl Ransom (2005). Le développement
de la personne, Dunod, InterEditions.