N° 863 | Le 29 novembre 2007 | Philippe Gaberan | Critiques de livres (accès libre)

De l’adolescence errante

Olivier Douville


éd. Pleins feux, 2007 (60 p. ; 8 €) | Commander ce livre

Thème : Errance

Il se propage et il se partage assez communément l’opinion selon laquelle l’époque présente manquerait cruellement de penseurs et plus généralement d’idées pertinentes susceptibles d’aider à mieux comprendre le monde contemporain et le comportement des humains. En réalité ce vide de la pensée n’existe que pour celui qui veut bien s’y laisser prendre ; en revanche, pour quiconque s’aventure sur des chemins de traverse et hors les sentiers rebattus par les médias et les faiseurs de succès de librairie, il est possible encore de faire de belles rencontres. Telle celle d’Olivier Douville, psychanalyste, maître de conférence à l’université Paris X et surtout, par delà ces titres ronflants, homme engagé auprès du Samu Social. C’est à ce titre qu’il s’est investi auprès de jeunes adolescents en errance dans les pays d’Afrique de l’Ouest ou bien d’Europe.

Et c’est de cette vie d’expériences et de rencontres que témoigne ce petit ouvrage de 60 pages, toutes rédigées d’une écriture fine et sensible, et dont le sous-titre énonce bien l’intention de son auteur : variations sur les non lieux de nos modernités. Tous ces non lieux étant des espaces vides de sens, hantés par d’assourdissants silences ; le bruit recouvrant désormais la parole et l’image polissant le contact. Car l’errance n’est pas une maladie de l’adolescence tout comme l’adolescence n’est pas une maladie de la vie. Pour l’auteur, l’errance des ados est avant tout la conséquence de la déshérence des adultes.

Dans « des mondes où l’instabilité spatiale des espaces d’échanges est poussée à son comble », où « le politique ne joue plus son rôle de tiers » et où se succèdent « des tentatives de destruction en masse de l’humain » (pp.12-13), Olivier Douville démontre comment sont érodés les liens de filiation et de transmission et comment l’errance devient le passage à l’acte de jeunes gens mettant en scène le malaise de toute une civilisation. L’espace devient alors la page blanche ou l’écran géant d’une jeunesse qui à bout de silence des adultes nombrilistes sème ses pas sur le goudron, griffe ses tags sur le béton, culbute le monde binaire (être ou ne pas être… un homme, un riche ou un puissant) de la logique phallique, transgresse joyeusement « les trois dimensions de l’interdit, de l’impossible et de l’impuissance » (pp.45-46).

Au nom d’une expérience de clinicien adossée à la psychanalyse et à l’anthropologie, Olivier Douville emmène son lecteur dans une compréhension de l’errance qui serait pour l’adolescent une façon de « psychiser le rapport au non soi ». Et plutôt que de fétichiser l’errance comme une métaphore possible de la faillite du sujet, il invite tout adulte à dialoguer avec ces voyageurs fantômes, à leur redonner la gourmandise du contact avant que de guetter le transfert, de sorte à ce que ces derniers puissent tracer leur sillon dans l’existence.


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