N° 1291 | Le 16 mars 2021 | Critiques de livres (accès libre)
Rebelle un jour, rebelle toujours
Voilà un récit que nos directeurs-comptables d’aujourd’hui auront du mal à rédiger, sauf à faire une compilation des évaluations de démarches qualité et autres protocoles accumulés tout au long de leur carrière. Serge Heughebaert appartient à ces espèces en voie de disparition qui n’ont cessé de sortir des sentiers battus et d’innover, mettant tout en œuvre pour éviter de s’enfermer dans l’institutionnel. Son enfance était-elle prémonitoire, lui qui aimait jeter des pétards allumés dans les boites aux lettres, uriner dans les bénitiers et attacher des casseroles à la queue de chats lancés ensuite dans une course folle ? Son adolescence ne fut guère plus assagie, puisqu’il réussit à se faire exclure de son collège, après avoir jeté un kilo de levure de bière dans la fosse septique ! Les chenapans dont il allait s’occuper ensuite ne pourraient rien lui apprendre de bien nouveau. Sa première expérience comme stagiaire éducateur spécialisé, il la passe dans un foyer du pays minier. Il obtiendra son diplôme en 1968. Les années passent. L’expérience s’accumule. On lui propose de chapeauter plusieurs établissements religieux désireux de se laïciser ou de prendre le relais de la directrice d’une école d’éducateurs. Il choisit de s’expatrier en Suisse et de devenir directeur, en janvier 1978, d’un foyer d’apprentis qui vient de connaître deux fermetures et trois directions en cinq ans. Il va le transformer. Un projet pédagogique, il n’en a pas vraiment. Il considère que cela sert surtout à maintenir une équipe autour d’un clocher. Ce qu’il veut, c’est que les enfants reprennent pied et créent de bons souvenirs. Il exige qu’ils soient vouvoyés et modifie l’agrément pour obtenir la mixité. Il veut soigner l’accueil, préférant la notion d’hôtellerie à celle d’internat. Les enfants doivent participer au décor de leur chambre qui est fleurie chaque jour. S’ils ne la rangent pas, ils reçoivent une amende. Et quand le cumul de leur montant est suffisant… ils vont au restaurant avec le personnel chargé de l’entretien. Préférant les rapports avec les gens que d’en écrire sur eux, Serge Heughebaert hésite à définir sa fonction : éducateur, analyste, directeur, allumeur de réverbère ? Finalement, il opte pour « socio-réalisateur » : encourager chacun à être unique et pourtant semblable à tout le monde ! Par sa poésie, son utopie réaliste et son humanisme voilà un livre qui fait du bien.
Jacques Trémintin
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